Les musées et les forces de police d’Europe unis contre le commerce illicite d’artefacts

Plusieurs projets européens mettent au point de nouvelles façons de lutter contre le trafic international de biens culturels.

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Par Horizon Publié le 8 juillet 2023 à 9h00
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Les musées et les forces de police d’Europe unis contre le commerce illicite d’artefacts - © Economie Matin

Lujza Varga participe au niveau local à une campagne européenne menée pour lutter contre un fléau mondial: le trafic d’objets historiques, et notamment d’œuvres d’art.

Mme Varga travaille pour le Musée national hongrois, qui participe à un projet financé par l’UE ayant pour but d’aider la police, les agents des douanes, les salles des ventes et les organisations comme la sienne à identifier les objets qui pourraient être issus de vols ou de pillages. 

Une question de codage

Le projet, intitulé AURORA, cherche des moyens d’étiqueter les objets afin qu’ils puissent être facilement identifiés partout dans le monde. De nombreux musées marquent les objets de leurs collections au moyen de codes que personne à part eux ne sait reconnaître. 

«Si un agent des douanes voit un code, il saura probablement que l’objet appartient à un musée ou à un organisme public, mais il ne pourra pas dire auquel», a expliqué Mme Varga. «Nous étudions la possibilité de créer un système plus facile à utiliser.»

À cause de sa situation géographique, la Hongrie se trouve sur l’un des principaux itinéraires empruntés par les trafiquants pour se rendre du Moyen-Orient jusqu’en Europe de l’Ouest et du Nord.

Le projet AURORA a pour objectif d’associer les artefacts à des marqueurs chimiques qui pourraient être rapidement identifiés par les autorités et les experts culturels. Les marqueurs utiliseront les nanotechnologies et seront invisibles à l’œil nu. Le projet d’une durée de trois ans prendra fin en 2025.

«Si nous mettions en place un système utilisable à l’échelle européenne, les acheteurs potentiels ou les forces de l’ordre pourraient, par exemple, contrôler l’objet très facilement», a déclaré Mme Varga, à la tête du Département de coordination des projets et de gestion des expositions du Musée national fondé à Budapest, en Hongrie il y a 221 ans.

Trois projets

AURORA fait partie des trois projets de l’UE en cours de développement qui ont pour mission de mettre au point de nouvelles méthodes permettant de localiser les biens volés et de protéger les sites archéologiques des pillards. Les deux autres initiatives sont les projets ANCHISE et ENIGMA

Tous trois font suite à un plan d’action de la Commission européenne datant de décembre 2022 et visant à intensifier la lutte de l’UE contre le commerce illégal de biens culturels.

Le plan décrit une série de mesures non législatives que la Commission, les gouvernements de l’UE et les autorités douanières, policières, judiciaires et culturelles nationales peuvent adopter, comme un partage plus large des informations et une place plus importante accordée à la formation. Europol, l’agence européenne pour les services répressifs, joue un rôle central dans cette mission.   

Le trafic de biens culturels est la troisième forme de commerce illicite au monde, après celui des armes et de la drogue, selon Corinne Chartrelle, ex-directrice adjointe de l’Office central français de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC).

Rien qu’en 2020, plus de 850 000 objets ont été saisis dans le monde, dont plus de la moitié en Europe, d’après l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol).

Toutefois, comme de nombreux cas de trafic ne sont pas détectés, l’ampleur réelle du fléau pourrait être bien plus importante, selon la Commission européenne. 

Des objets obtenus par le biais de vols ou de pillages peuvent apparaître sur le marché légal, souvent accompagnés de documents sophistiqués (mais faux) attestant de leur origine.

Liens avec le terrorisme

Mme Chartrelle, qui participe au projet ANCHISE, s’inquiète aussi du commerce illégal de biens culturels par des groupes armés. 

«Nous savons que le pillage archéologique finance le terrorisme et que tous deux sont indissociables», a-t-elle ajouté. 

En 2015, lorsque les troupes américaines ont pris d’assaut en Syrie le domicile d’un responsable financier de l’État islamique d’Irak et du Levant, elles y ont trouvé une importante cache d’artefacts dérobés sur des sites archéologiques et dans des musées. Elles ont également trouvé des documents indiquant que l’État islamique avait organisé le pillage des sites, taxé les bénéfices et vendu les antiquités.

L’année suivante, le gouvernement américain a intenté une action en justice, considérée comme la première du genre, dans le but de récupérer des objets obtenus illégalement par l’État islamique. Il s’agissait d’un avertissement adressé au marché international de l’art, pour le mettre en garde contre le fait qu’il pourrait, sans le vouloir, financer le terrorisme.

Personne ne sait combien gagnent les groupes armés lorsqu’ils vendent ce que certains appellent des «antiquités de sang». Mais les preuves de plus en plus nombreuses recueillies ces dernières années de l’ampleur du pillage et du trafic ont alerté les autorités.

«La demande d'objets archéologiques est très forte car un nombre important de musées s’ouvrent en Asie et au Moyen-Orient, et ils ont naturellement besoin d’objets à exposer», a expliqué Mme Chartrelle. 

Pays les plus exposés au pillage

Le pillage pose un grave problème car les artefacts sont exhumés et retirés avant que les archéologues n’aient connaissance de leur existence. Ils ne sont enregistrés dans aucune base de données et ne peuvent pas être déclarés comme volés.   

Le Conseil international des musées (ICOM) publie des listes rouges répertoriant les types d'objets susceptibles d’être subtilisés dans les pays les plus exposés au risque de pillage, notamment en Afghanistan, au Brésil, au Cambodge, en Chine, en Égypte, en Libye, au Mexique, en Syrie et en Ukraine. 

Des chercheurs de l’École nationale de police française, dont dépend désormais Mme Chartrelle, déploient à plus grande échelle un outil appelé Arte-Fact qu’ils ont d'abord développé dans le cadre d’un précédent projet pour identifier les objets volés et pillés.

Une photo d’un article est téléchargée dans une application pour téléphone mobile qui compare l’image aux bases de données nationales et internationales des biens volés. 

Le projet ANCHISE, qui a débuté en février et se poursuivra jusqu’à début 2026, intégrera les artefacts des listes rouges de l’ICOM.

«Ceci aidera à identifier les objets pillés», a déclaré Mme Chartrelle. «L’identification ne sera pas exacte à 100 %, mais cela alertera un agent que l’artefact doit faire l’objet d’une enquête.»

L’application indiquera également les meilleurs experts à contacter à propos de l’objet concerné.

Selon Mme Chartrelle, le principal moyen d'arrêter le pillage est de faire obstacle aux ventes. Ceci aurait pour effet de freiner la demande et donc de réduire le vol. 

«Pour cela, nous devons être en mesure d’identifier rapidement ces objets lorsqu’ils sont mis en vente dans les salles des ventes ou en ligne», a ajouté Mme Chartrelle. 

Analyses de base de données

Comme ANCHISE, le projet ENIGMA développe un outil dont le rôle est d’analyser les bases de données de la police et de l’ICOM pour y rechercher les objets volés ou pillés. 

Charalampos Georgiadis, coordinateur d’ENIGMA, indique que les technologies seront plus efficaces si tous les musées utilisent les mêmes méthodes pour décrire les objets à risque. 

«Nous voulons créer un identifiant unique pour les objets», a déclaré M. Georgiadis, professeur associé à l’École de génie civil de l’Université Aristote de Thessalonique, en Grèce. 

Selon lui, cela implique de développer des descriptions standardisées (comme la couleur, le matériau, la forme et la taille) que les musées peuvent utiliser avec un minimum d’effort et de frais.

Le projet ENIGMA, qui s’achèvera en 2025, veut aussi utiliser l’intelligence artificielle pour explorer Internet afin d’y rechercher des images et des informations sur des objets susceptibles d’être issus de pillages ou de vols. 

Depuis le début de la pandémie de Covid-19, en 2020, les œuvres d’art et les antiquités sont de plus en plus souvent achetées et vendues en ligne. 

Par conséquent, selon l’Organisation mondiale des douanes, les marchés en ligne jouent un rôle croissant dans les activités criminelles.

Fouilles illégales

Les chercheurs des projets ENIGMA et ANCHISE réfléchissent également à des moyens de protéger les sites archéologiques des pillards. Ils mettent au point des outils permettant de surveiller les sites des zones de conflit en faisant appel à la détection à distance, notamment à partir d’images de drones ou satellites.

Même si les objets pillés finissent par être récupérés, les informations qui auraient dû être glanées durant la fouille sont perdues à jamais, explique Mme Varga à Budapest. 

«Si un archéologue trouve une tombe contenant des objets, il recueille des informations sur l’endroit où ils se trouvaient dans la tombe, et indique s’il s’agissait de la sépulture d’un homme, d’une femme ou d’un enfant, et où elle se trouvait», a-t-elle déclaré.

Le Musée national hongrois, le plus ancien et le plus important du pays, est en charge de nombreuses fouilles archéologiques réalisées par le pays. Il informe le public des dégâts causés par les pillages.

«Souvent, nous ne connaissons pas le site, nous ne savons même pas qu’il existe, c’est pourquoi il est vraiment important de sensibiliser la population», a déclaré Mme Varga.

De nombreux pays européens, dont la France, l’Espagne, la Grèce et l’Italie, sont confrontés à de nombreux vols et pillages, selon les chercheurs des projets. 

«Nous ne voulons pas perdre le patrimoine culturel européen», a déclaré M. Georgiadis de l’Université Aristote de Thessalonique. «Il nous relie à nos racines.»

Les recherches réalisées dans le cadre de cet article ont été financées par l’UE. Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation. 

Plus d’infos

AURORA

ANCHISE

ENIGMA

Trafic de biens culturels (DG HOME)

Innovation et recherches sur le patrimoine culturel, financées par l’UE

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Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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