Willem H. Buiter est l’ancien économiste en chef de Citibank et ancien membre du Comité de politique monétaire de la Banque d’Angleterre.
Plaidoyer pour une augmentation des impôts aux États-Unis
Après avoir évité de justesse la catastrophe sur la gestion du calendrier de la dette fédérale américaine et que l'échéance a été repoussée jusqu'au 1er janvier 2025, il faut parler à présent des deux grands défis interdépendants de la politique budgétaire actuelle. Premièrement, la dette publique américaine doit être placée sur une trajectoire plus sûre et plus durable ; deuxièmement, les dirigeants du pays doivent déterminer la taille optimale du secteur public, mesurée par les dépenses publiques primaires (à l'exclusion des paiements d'intérêts) en pourcentage du PIB.
Selon le rapport du Moniteur des finances publiques du Fonds monétaire international publié en avril 2023, la dette nette des administrations publiques américaines était de 94,2 % du PIB en 2022, contre une moyenne de 81,6% dans les économies avancées et une moyenne mondiale de 74,6%. Alors que le taux de la dette nette américaine était déjà fort en 2019 (83,1 %), il a grimpé à 98,3% en 2020 alors que la COVID-19 et la réponse politique à ce taux a stimulé le numérateur et déprimé le dénominateur. Ces chiffres récents ne sont pas seulement des records en temps de paix : ils dépassent également les sommets de la fin des deux Guerres mondiales, lorsque les taux les plus élevés ont été rapidement érodés par l'inflation et la croissance (non anticipées).
La dette publique non monétaire nette consolidée
Les politiques budgétaires doivent veiller à ce que la dette publique non monétaire nette consolidée (dont la banque centrale) ne dépasse pas la valeur indexée actuelle des excédents primaires actuels et futurs, y compris le seigneuriage non inflationniste. Alors que la Réserve fédérale générera certains revenus de l'émission de monnaie de base net de tout intérêt payé sur l'encours de la monnaie de la banque centrale, le seigneuriage qui correspond à son objectif d'inflation sera probablement inférieur à 0,5 % du PIB. Même les farouches partisans de la théorie monétaire moderne ont bien du mal à s'accommoder de tels chiffres.
Du côté positif, puisque la dette publique non monétaire nette consolidée reflète la dette brute moins la juste valeur de tous les actifs financiers et réels, elle pourrait être réduite. La plupart des actifs immobiliers commerciaux de l'État (y compris l'immobilier) ne sont pas comptabilisés du tout et la mauvaise gestion des autres actifs tend à diminuer leur juste valeur. La situation pourrait ainsi être améliorée par une privatisation à un prix approprié ou par une gestion plus efficace des actifs par un fonds de richesse public bien conçu.
Du côté négatif, le bilan actuel de l'État ignore souvent la juste valeur des obligations non capitalisées du secteur public en matière de retraite et d'autres programmes sociaux. Plus important encore, les prévisions du FMI montrent que le taux de dette nette des États-Unis sur PIB va augmenter au cours de chacune des six prochaines années et qu'il atteindra 110,5 % en 2028. Avec des balances primaires ajustées cycliquement entre -4,1 % et -3,4 % du PIB potentiel, cette trajectoire est clairement non viable. Le moment est venu soit de stabiliser ce taux, soit – de préférence – de le faire baisser substantiellement.
Le FMI estime le solde primaire ajusté cycliquement des États-Unis à -4,1 % du PIB potentiel en 2023, proche de sa valeur pré-COVID de -3,7 % en 2019. En supposant que le taux d'intérêt sur la dette publique ne sera pas systématiquement inférieur au taux de croissance du PIB nominal, les États-Unis doivent parvenir à un resserrement budgétaire d'au moins 4 % du PIB (pour des raisons cycliques et de viabilité de la dette). De son côté, le département américain du Trésor affirme (qu') « empêcher le ratio dette/PIB d'augmenter au cours des 75 prochaines années exigerait une certaine combinaison de réductions des dépenses et d'augmentations des revenus qui s'élèvent à 4,9 % du PIB au cours de la période ».
Les dépenses publiques des USA
Je considère que la part des dépenses publiques dans le PIB aux États-Unis est trop faible structurellement, même s'il existe de nombreux exemples de dépenses publiques inutiles. Le resserrement budgétaire axé sur la viabilité doit donc se faire par des impôts plus élevés, plutôt que par une baisse des dépenses publiques.
Les dépenses publiques américaines sans intérêt par rapport au PIB sont les plus faibles du G7 : 39,41 % en 2021, contre 43,37 % au Canada (la médiane) et 57,66 % en France (le taux le plus fort). Il est vrai que le taux dépenses/PIB relativement faible des États-Unis reflète en partie un faible taux de dépendance des personnes âgées (25,6 % en 2021, le plus faible du G7, comparé à 28,2 % au Canada et à 51 % au Japon). Mais il est plus fondamentalement le résultat d'un équilibre politique de longue date opposé au « grand gouvernement » – comprenant semble-t-il même les dépenses en infrastructures décentes et en soutien adéquat pour les pauvres et les nécessiteux. La structure fédérale américaine peut aussi être un facteur adjuvant, dans la mesure où elle encourage la concurrence fiscale, plutôt que la concurrence des dépenses entre les États.
Mais l'équilibre politique pourrait enfin changer, du moins au niveau fédéral. Les dépenses fédérales primaires ont chuté de 28,9 % du PIB en 2021 à 23,2 % en 2022 et le Département du Trésor prévoit qu'elles diminueront à 19,9 % cette année, avant de remonter progressivement à 23,8 % en 2078 (en supposant que toutes les politiques restent constantes). La majeure partie de cette croissance future des dépenses proviendra de la Sécurité sociale, de Medicare et de Medicaid. Les dépenses des deux premiers programmes augmenteront au fur et à mesure que la population vieillit. Mais la croissance des dépenses de Medicaid peut refléter une plus grande volonté de s'engager dans des programmes d'aide à la pauvreté financièrement coûteux.
Le financement de cette augmentation souhaitée des dépenses publiques nécessite une augmentation générale des impôts. La solution apparemment évidente consiste à introduire une taxe fédérale sur la valeur ajoutée. Pourtant il pourrait y avoir des obstacles constitutionnels à cette option (ce qui est surprenant, étant donné que les États-Unis ont un impôt fédéral sur le revenu, un impôt fédéral sur les bénéfices des sociétés et des taxes d'accise fédérales sur l'essence, l'alcool, le tabac, les billets d'avion et les biens et services liés à la santé). La TVA rapporte entre 4 % du PIB dans les pays en développement à faible revenu et plus de 7 % du PIB dans les économies avancées.
Sans une TVA fédérale, une augmentation généralisée de l'impôt sur le revenu des particuliers et des sociétés serait la meilleure solution. Les États-Unis doivent changer de cap pour parvenir à la viabilité de la dette publique et pour payer les augmentations structurelles des dépenses nécessaires à la démographie, au changement climatique et à l'équité intra et intergénérationnelle.
© Project Syndicate 1995–2023