Grâce aux efforts déployés pour améliorer leur biodiversité, les forêts européennes pourront mieux résister aux contraintes engendrées par le changement climatique.
Avec la restauration, l’Europe aspire à des forêts en pleine santé
Une innovation est en train de prendre racine dans le sol sablonneux d’une immense forêt de pins bordant l’océan Atlantique, dans le sud-ouest de la France. Une parcelle de ce million d’hectares de pins maritimes fait l’objet d’un projet financé par l’UE qui offre une nouvelle vision de la reforestation.
Sur ce site aquitain, le projet SUPERB fait pousser un «bouclier vert», une haie composée d’arbustes à larges feuilles et d’arbres comme le chêne. L’objectif est de créer des habitats pour les communautés d’oiseaux, d’animaux et d’insectes et de donner aux scientifiques la possibilité d’évaluer les améliorations apportées à la biodiversité.
De grandes ambitions
Si les pins poussent à foison, les monocultures de ce type, constituées d’une seule essence, ne se prêtent pas à accueillir population diversifiée d’oiseaux et d’animaux. Une telle monoculture rend les arbres plus vulnérables aux infestations d’organismes nuisibles envahissants, qui pourraient pulluler encore plus à mesure que les températures augmenteront.
Pour faire face à ce problème, 10 kilomètres de haies sont plantés en «couloirs» sur 20 000 hectares pour relier les poches d’essences à grandes feuilles existantes. L’idée est de créer une barrière physique afin d’augmenter la résistance aux nuisibles et aux maladies et, potentiellement, à d’autres menaces susceptibles d’augmenter avec le réchauffement de la planète comme les vents, les tempêtes, les incendies de forêt et la sécheresse.
«Jusqu’à présent, aucun projet n’était aussi ambitieux en termes d’envergure», a déclaré Christophe Orazio, directeur général de l’Institut européen de la forêt cultivée, en France, et l’un des coordinateurs du projet SUPERB.
Une douzaine de sites de démonstration
L’Aquitaine est l’un des 12 sites pilotes européens coordonnés par le biais du projet SUPERB, qui compte 36 partenaires de 16 pays. Le projet dure quatre ans et s’achèvera en novembre 2025.
Dirigée par l’Institut forestier européen (EFI), l’initiative de 20 millions EUR a pour objectif de restaurer des milliers d’hectares de forêt s’étendant sur des paysages très divers, des forêts anciennes des montagnes Carpates jusqu’aux forêts d’arbres à feuillage caduc des zones inondables et aux terres agricoles du sud.
Les 12 sites de démonstration ont été sélectionnés de manière à représenter différents types de forêts et à comprendre les différents facteurs de stress qui menacent la survie de ces surfaces boisées.
À titre d’exemple, dans le Land allemand de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le projet a pour but de replanter des centaines de milliers d’hectares de forêt dévastés par des infestations de scolytes. Dans certaines régions, le dépérissement est tel que, sans aide, les propriétaires forestiers n’ont pas les moyens financiers de gérer la restauration.
En comparaison, la restauration de la forêt inondable serbo-croate sera beaucoup plus modeste. Néanmoins, la diversification des essences inversera le processus de perte d’habitat, améliorera le contrôle des inondations dans l’agriculture et rendra la forêt plus résistante aux effets du changement climatique.
Dans le cadre du projet SUPERB, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) réalise, sur deux ans, un inventaire à grande échelle de la biodiversité.
«Les résultats obtenus pourraient changer la donne en ce qui concerne la santé future des forêts de nos régions et des pays comptant de vastes plantations forestières comme c’est le cas de la Suède, du Portugal et de l’Espagne», a déclaré M. Orazio.
De nombreux partenaires
Les interactions avec les organisations locales, les partenaires politiques et les bailleurs de fonds, rendues possibles par le projet, apportent la garantie que les efforts de restauration pourront être étendus et financés de manière durable après 2025.
Les contributions non financières de plusieurs organisations locales, d’une valeur totale de 90 millions EUR, permettront d’étudier les facteurs de réussite de la restauration forestière et de répliquer les résultats à plus grande échelle.
Les bailleurs de fonds ont été attirés par l’approche de restauration proposée par le projet, qui va au-delà de la compensation des émissions de carbone. Le projet prévoit maintenant de mettre en place une plateforme dédiée à la mise en relation des bailleurs de fonds et des nouvelles initiatives de reforestation.
«La restauration est en marche dans de nombreuses régions du monde, mais la pérennisation et la gestion durable des projets à plus long terme sont souvent très problématiques», a déclaré Gert-Jan Nabuurs, professeur de ressources forestières européennes à l’Université de Wageningue, aux Pays-Bas, et co-coordinateur du projet SUPERB.
Près de 100 «partenaires associés» se sont déjà engagés à appliquer les méthodes de restauration préconisées par le projet sur leurs terrains. Grâce à l’établissement de plans de travail détaillés et à la collecte minutieuse de données, les progrès peuvent faire l’objet d’un suivi étroit.
Le projet SUPERB est complété de trois projets menés en parallèle et portant sur des écosystèmes différents, WaterLANDS, MERLIN, REST-COAST, et s’inspire de leurs expériences.
Enjeux économiques
Alors que le projet cherche à susciter l’adhésion des communautés locales, certains propriétaires terriens hésitent à s’engager par crainte de l’impact des mesures environnementales sur l’exploitation forestière.
«Certains peuvent penser que la science est là pour limiter la rentabilité de la forêt, mais c’est le contraire», a déclaré Magda Bou Dagher Kharrat, professeure, directrice scientifique à l’EFI et responsable de l’équipe de coordination du projet SUPERB. «Nous nous préoccupons de la durabilité de la forêt et donc aussi des revenus qu’elle génère. Notre objectif est d’aider les professionnels à la gérer de manière à ce qu’elle puisse continuer d’exister et de fournir ses multiples services écosystémiques.»
Le projet multiplie les efforts pour aider à faire comprendre l’importance de restaurer les forêts.
La forêt a toujours figuré en bonne place dans les histoires racontées, et le projet SUPERB s’appuie sur cette tradition pour partager des «histoires de restauration» dans des blogs en ligne rédigés par des chercheurs du projet. Mettre des visages sur les activités menées aide à mieux faire comprendre leur intérêt.
«La restauration nous aidera à obtenir des forêts plus résistantes et plus belles dont nous pourrons tous profiter», a déclaré M. Nabuurs.
Il a également souligné la valeur économique des forêts européennes, précisant qu’elles nous fournissent des produits tels que le bois et le papier.
Alors que l’impact du changement climatique se fait de plus en plus sentir en Europe, les enjeux du projet sont importants.
Pour Bou Dagher Kharrat, le réchauffement climatique a offert à la replantation des forêts un tout nouveau contexte.
«La restauration consistait autrefois à essayer de ramener une forêt à un point du passé», a-t-elle déclaré. «Désormais, la restauration doit regarder vers l’avenir et faire face au changement climatique. C’est ce que nous appelons la «préstauration», un mélange de restauration et d’adaptation qui permettra à nos forêts de résister aux contraintes futures, pour le bien de l’homme et de la planète.»
Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.