Comment aider les pays en développement à sortir de la crise de la dette

Ishac Diwan est directeur de recherche au Finance for Development Lab.  Philippe Le Houérou est un ancien directeur général d’une organisation de la Banque mondiale.

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Par Ishac Diwan et Philippe Le Houérou Publié le 10 juin 2023 à 13h37
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@shutter - © Economie Matin
28%La dette mondiale a grimpé de 28% en 2020

La crise des dettes souveraines était une priorité lors des Rencontres de printemps de la Banque mondiale et du FMI. Tous les regards étaient tournés vers la Chine, le premier créancier des pays en développement, et vers l'Association internationale de développement (IDA, International Development Association), le fonds de la Banque mondiale consacré aux pays pauvres. Beaucoup de pays à faible revenu étant en faillite ou sur le point de l'être, la Chine était réticente à diminuer le montant de leur dette à son égard et insistait pour que les institutions multilatérales, dont l'IDA, partagent le fardeau de leur dette avec les autres créanciers – un point de vue polémique qui tranche avec les conventions habituelles.

Il existe des arguments forts contre la participation de l'IDA à la restructuration de la dette. Il serait injuste à l'égard des contribuables qu'elle aide les créanciers de ces pays, non pas une, mais deux fois. Et ce d'autant plus que les crédits qu'elle accorde sont fortement concessionnels (assortis d'un taux d'intérêt nul ou très faible) et qu'en moyenne 50% de son aide consiste en dons, comparé à 0% sur le marché et à 18% en ce qui concerne la Chine. Depuis quelques années, en raison de la multiplication des crises, son engagement a augmenté, pour atteindre 42 milliards de dollars en 2022. Par ailleurs, elle apporte une aide sous forme de dons plutôt que de prêts aux pays surendettés – ce qu'elle qualifie d'allégement implicite de la dette ex-ante.

L'aide à la restructuration des dettes a été discutée lors de la table ronde sur les dettes souveraines, un élément essentiel des Rencontres de printemps du FMI et de la Banque mondiale. La Chine a apparemment accepté une proposition d'accord de cette dernière, destinée à augmenter son offre de crédit par l'intermédiaire de l'IDA, plutôt que de réduire l'encours de sa dette. Cet accord doit encore être clarifié, mais il pourrait être gagnant-gagnant : la coopération de la Chine avec le FMI, jointe à l'augmentation du financement concessionnel par les banques multilatérales de développement, serait un soutien de poids pour mettre les pays pauvres sur la voie d'une croissance verte et durable.

Comment rendre cet accord opérationnel de manière à ce que l'IDA retrouve son assise financière et son efficacité ? La crise mondiale de la dette affaiblit les trois principaux outils de financement de ses opérations : le service de la dette sur les prêts antérieurs (7 milliards de dollars en 2022), la contribution des donateurs (environ 25 milliards de dollars tous les trois ans) et les emprunts sur le marché.

Si une partie des prêts est remplacée par des dons, le service de la dette en est réduit d'autant. Depuis 2010, l'IDA a distribué ainsi 81 milliards de dollars à titre de don. S'il avait s'agit de prêts, le portefeuille de l'IDA qui s'élève aujourd'hui à 180 milliards de dollars serait proche de 270 milliards (presque 50% de plus), ce qui renforcerait considérablement sa capacité d'emprunt et se traduirait par un flux plus important du service de la dette. Tant que la crise de la dette se prolonge, entraînant une augmentation du volume des dons, le bilan de l'IDA continuera de souffrir.

L'aide de l'IDA bénéficie aussi aux créanciers bilatéraux et privés. Selon une récente étude empirique, en 2021, un dollar de transfert net de l'IDA vers un pays surendetté générait un transfert net de 60 cents au bénéfice des créanciers. Par contre, en ce qui concerne les pays qui échappent au surendettement, les décaissements de l'IDA encouragent d'autres prêteurs à leur apporter des fonds. Autrement dit, le surendettement affaiblit l'efficacité de l'IDA. En l'absence d'avancées sur le problème de la dette, il est peu probable que les donateurs augmentent leur contribution, d'où une réduction supplémentaire de la capacité d'emprunt de l'IDA.

L'efficacité de l'IDA exige donc une résolution rapide de la crise de la dette. Le partage du fardeau de la restructuration de la dette peut contribuer à accélérer les progrès. Pour ce faire, il faut regarder vers l'avenir plutôt que vers le passé.

Supposons que la contribution de l'IDA dépende des règles de comparabilité de traitement basées sur ses contributions antérieures. Dans le cas de la Zambie qui tente de restructurer sa dette depuis son défaut de paiement en 2020, l'interprétation classique de ces règles entraînerait une décote de 44 % pour tous les créanciers, y compris l'IDA qui y perdrait 335 millions de dollars. Une interprétation plus équitable de ces règles consisterait à ne réduire la perte de l'IDA que lorsque les prêts des autres créanciers seront ramenés à un niveau de concessionnalité équivalent. Dans ce cas, la perte de l'IDA se limiterait à 234 millions de dollars. Selon nos estimations, une méthode analogue à l'égard de tous les pays à faible revenu et insolvables coûterait entre 3,5 et 7,6 milliards à l'IDA.

En fonction de l'interprétation des règles de comparabilité de traitement, ces contributions conduiraient à une augmentation de 70 à 100 % des prêts concessionnels à la Zambie au cours des trois prochaines années. Pour tous les pays surendettés, les prêts supplémentaires estimés seraient plus faibles, de l'ordre de 20 à 40 % par rapport aux sommes versées actuellement par l'IDA.

Toutefois, l'approche rétrospective ne tient pas compte du fait que l'IDA n'est pas un créancier comme les autres. Au cours de la prochaine décennie, elle procédera à d'importants transferts nets à des conditions de faveur, avec un montant de dons supérieur à celui des pertes qu'entraîneraient les règles de comparabilité de traitement (quelle que soit leur interprétation). Ainsi au cours de la prochaine décennie, l'équivalent-subvention accordé par l'IDA à la Zambie s'élèverait à plus d'un milliard de dollars, une somme largement supérieure aux pertes impliquées par les règles de comparabilité de traitement (bien que notre estimation des pertes soit surévaluée, car elle ne prend pas en compte les dons importants fait précédemment par l'IDA en plus de ses prêts concessionnels).

La meilleure manière de faciliter une résolution rapide de la crise de la dette consiste à augmenter les contributions. Dans le cas de la Zambie, l'analyse de la solvabilité de sa dette repose sur l'hypothèse d'un taux de croissance de 4,5%. Si les versements de l'IDA étaient appelés à augmenter, le pays sortirait plus rapidement de sa crise de la dette et les pertes des créanciers seraient moindres – ce qui est aussi l'objectif que vise la Chine dans des négociations en cours.

Cette solution est en accord avec le désir de la Banque mondiale qui veut augmenter sa capacité financière pour accroître ses opérations. Dans ce contexte, il y a eu des appels à doubler le financement de l'IDA sur une période de 5 ans. Cela permettrait d'augmenter l'aide aux pays surendettés, facilitant ainsi leur redémarrage économique. Mais l'IDA est déjà sous pression, car elle a utilisé la plus grande partie de son cycle de financement actuel (qui s'achève mi-2025) à la reconstitution de ses ressources. Il lui faut donc de nouveaux financements. Intégrée à l'IDA, la nouvelle facilité de crise de la Banque serait le moyen idéal pour cela.

Les différentes parties prenantes se rencontreront en juin à l'occasion du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial. Elles devraient alors discuter de l'accélération des négociations sur la restructuration des dettes, ainsi que de l'augmentation de la capacité de prêt de l'IDA. Les avancées dans ces deux directions sont liées. Elles sont indispensables pour sortir du cercle vicieux du surendettement.

© Project Syndicate 1995–2023

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Ishac Diwan est directeur de recherche au Finance for Development Lab. Philippe Le Houérou est un ancien directeur général d'une organisation de la Banque mondiale, la Société financière internationale, la plus grande institution de développement mondial consacrée au secteur privé des pays en développement.

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