Diane Coyle – Les promesses et les dangers de l’IA générative

Depuis qu’OpenAI a lancé son chatbot ChatGPT l’année dernière, un nombre croissant d’analystes prédisent que l’intelligence artificielle générative déplacera des millions de travailleurs et provoquera des bouleversements économiques de grande ampleur. Mais comment l’IA générative affectera-t-elle l’économie mondiale exactement ?

*Diane Coyle*, *Diane Coyle, Professeure de politique publique à l’Université de Cambridge. Son dernier livre s’intitule **Cogs and Monsters: What Economics Is, and What It Should Be* *(Princeton University Press, 2021
Par Diane Coyle Publié le 9 mai 2023 à 6h36
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Diane Coyle – Les promesses et les dangers de l’IA générative - © Economie Matin
383,3 MILLIARDS $Le marché global de l'Intelligence artificielle a atteint 383,3 milliards de dollars en 2021.

Des estimations récentes donnent une idée de la perturbation imminente du marché du travail. Les économistes de Goldman Sachs, par exemple, prévoient que jusqu'à 300 millions d’emplois à temps plein pourraient être automatisés suite aux dernières percées de l'IA et que deux tiers des travailleurs en Europe et aux États-Unis pourraient être exposés à l'automatisation basée sur l'IA. Un document de travail rédigé par des chercheurs de l'OpenAI révèle qu'environ 80 % de la main-d'œuvre américaine pourrait voir au moins une partie de ses tâches automatisées par l'introduction de grands modèles de langage (LLM) tels que ChatGPT. Certains cabinets d'avocats et spécialistes du marketing ont déjà commencé à utiliser des outils d'IA générative.

Mais on ne sait pas encore si les nouvelles IA amélioreront la productivité des employés existants en les déchargeant de tâches routinières, ou si elles rendront simplement les travailleurs technologiquement superflus. Il est certain que de nombreux cols blancs seraient ravis si les outils d'IA pouvaient prendre en charge des tâches ennuyeuses telles que la rédaction de procès-verbaux de réunions, la réponse à des questions de routine ou l'établissement de notes de frais. Mais beaucoup pensent – comme Daron Acemoglu et Simon Johnson l'ont récemment affirmé – que la course à l'IA  générative actuelle vise à réduire les coûts en remplaçant les travailleurs par des algorithmes, plutôt qu'à exploiter la puissance de ces technologies pour augmenter le travail humain.

Il est également possible que la plupart des entreprises tardent à adopter cette technologie puissante en raison d'un manque de compétences et de savoir-faire. Cela n'est pas nécessairement rassurant non plus. Si les nouvelles technologies perturbent souvent les moyens de subsistance et les industries, elles pourraient également entraîner la croissance de la productivité nécessaire pour augmenter les revenus et le niveau de vie. Après presque deux décennies de croissance extrêmement lente de la productivité dans la plupart des économies avancées, l'IA générative est apparue au moment où nous en avions besoin. Mais, pour qu'elle apporte des avantages largement partagés, nous devons tirer les  leçons de la précédente vague d'innovation numérique.

Au cours des 20 dernières années, des innovations telles que le smartphone et des technologies de communication comme les réseaux sans fil 4G et 5G ont transformé la vie quotidienne, entraînant la création de nouveaux secteurs et modèles commerciaux. En 2021, l'Américain moyen a passé environ huit heures par jour en  ligne, soit plus du double du chiffre de 2011. Les secteurs de l'informatique dématérialisée et du commerce  électronique ont connu une croissance rapide, reflétant un marché du travail où les compétences numériques sont de plus en plus une condition préalable à l'obtention d'un emploi bien rémunéré. Pourtant, malgré ces avancées technologiques, la croissance de la productivité est atone depuis le milieu des années 2000.

Comment expliquer cette énigme économique ? Bien qu’il soit théoriquement possible que les technologies numériques ne soient tout simplement pas très productives, leur adoption généralisée suggère le contraire. Une explication plus plausible est qu'il faut du temps pour comprendre comment utiliser au mieux les nouvelles technologies. Par conséquent, seule une petite minorité d'entreprises aux États-Unis  et au Royaume-Uni ont été en mesure d'utiliser les outils numériques pour accroître leur productivité et prendre de l'avance.

Dans son livre The New Goliaths (2022), James Bessen, de l'université de Boston, explique pourquoi les entreprises ont du mal à s'adapter aux technologies numériques. Selon lui, la complexité des logiciels avancés confère un avantage aux entreprises les plus grandes et les plus sophistiquées sur le plan technologique, car elles sont les seules à disposer des ressources et du savoir-faire nécessaires pour adopter de tels outils et en tirer profit.

Compte tenu de la puissance de calcul massive (et coûteuse) nécessaire à l'utilisation et à la maintenance des outils d'IA générative, il semble inévitable que cette nouvelle technologie suive une voie similaire. Si une poignée d'entreprises dominantes utilisent des algorithmes d'apprentissage profond tels que le GPT-4 d'OpenAI pour créer de nouveaux services et produits, elles pourraient renforcer leur pouvoir de marché et ériger des barrières insurmontables à l'entrée.

Mais le véritable potentiel de ces nouvelles technologies va au-delà de leur capacité à permettre à quelques entreprises de devenir plus efficaces ou de développer de nouveaux produits. Pour permettre des gains de productivité généralisés et créer une véritable valeur ajoutée, les modèles d'IA générative doivent changer notre façon de produire. Après tout, les booms de productivité les plus soutenus des 200 dernières années ont été le résultat de nouvelles technologies qui ont remodelé et redéfini nos systèmes économiques.

Pensez, par exemple, à la façon dont l'introduction de pièces interchangeables au XIXe siècle a révolutionné la fabrication, ou à la façon dont la chaîne de montage d'Henry Ford a étendu la division du travail à l'intérieur de l'usine au début du XXe siècle. Dans les années 1980, la révolution du juste-à-temps a réduit le besoin de stocks massifs, et la mondialisation des chaînes d'approvisionnement au cours des années 2000 a permis une plus grande spécialisation. Ces innovations de processus, rendues possibles par l'émergence de nouvelles technologies de l'énergie et de la communication, ont stimulé la croissance économique en changeant non seulement ce que les entreprises produisaient, mais aussi la manière dont
elles le faisaient.

Avant que l'utilité à long terme de l'IA générative ne devienne évidente, le battage médiatique – et la panique – doivent se calmer. Quelles que soient ses lacunes, son introduction représente clairement un saut technologique stupéfiant. Pour que nous en profitions tous en tant que travailleurs, consommateurs et entrepreneurs, nous devons permettre à toutes les entreprises d'accéder à ces outils révolutionnaires, au lieu de confier la clé de la prochaine grande transformation économique à quelques grands opérateurs historiques en espérant qu'ils ne verrouillent pas l'accès à tous les autres.

© Project Syndicate 1995–2023

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*Diane Coyle*, *Diane Coyle, Professeure de politique publique à l’Université de Cambridge. Son dernier livre s’intitule **Cogs and Monsters: What Economics Is, and What It Should Be* *(Princeton University Press, 2021

Diane Coyle, Professeure de politique publique à l’Université de Cambridge. Son dernier livre s’intitule "Cogs and Monsters: What Economics Is, and What It Should Be" https://press.princeton.edu/books/hardcover/9780691210599/cogs-and-monsters (Princeton University Press, 2021)

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