Qu’est-ce qu’un traumatisme ? Comment appréhender un traumatisme psychique aujourd’hui ? De quelles façons et par quels mécanismes la mémoire est-elle modifiée par un traumatisme ? En quoi sa structure, ses contenus, ses mécanismes de contrôle, ses substrats neurobiologiques et son organisation même se trouvent-ils profondément changés jusqu’à remettre en cause et remodeler l’identité de la personne qui en est victime ?
Mémoire et traumatisme : Qu’est-ce qu’un traumatisme ?
Les nouvelles connaissances permettent-elles d’esquisser des pistes pour élaborer de nouvelles prises en charge et pour aider au quotidien les victimes d’un traumatisme ? Des traumatismes peuvent-ils s’étendre à des groupes plus ou moins large, voire à une société tout entière, et dans ces cas comment leurs représentations évoluent-elles dans les mémoires collectives ? Certains moments de la vie, comme le passage à la retraite ou une maladie, peuvent-ils entraîner un traumatisme ? Le monde d’aujourd’hui, numérisé et hyperconnecté, nous expose-t-il à de nouvelles formes de traumatismes et comment ?
Ce livre peut concerner tout un chacun, tant il est vrai que nous sommes régulièrement confrontés, de plus ou moins près, directement ou indirectement, à des situations de traumatisme individuel ou collectif. Il s’adresse plus particulièrement à ceux qui cherchent à trouver un sens à cette expérience humaine, en quoi elle imprime une marque dans nos mémoires jusqu’à, dans certains cas, modifier notre cohérence au présent et notre projection dans le futur. Au-delà, il permet d’entrevoir des pistes de résilience, que celles-ci viennent de l’individu qui a été victime d’un traumatisme, de ses proches, de la société ou des dispositifs de soins.
Les réponses à ces questions sont nécessairement pluridisciplinaires avec la mémoire, et ses liens avec les émotions, comme clés de compréhension. Dans ce livre, nous traiterons les modifications de la mémoire associées à un traumatisme, leurs bases cérébrales, les mécanismes de résilience et le rôle majeur du lien social dans le temps long. Un traumatisme de grande ampleur bouleverse la mémoire des individus et entraîne aussi des conséquences sur la mémoire collective et, dans ces situations tragiques, les interactions entre mémoires individuelles et mémoires collectives sont particulièrement importantes à considérer. Ce sera une ligne de force de cet ouvrage.
Les relations entre mémoire et traumatisme touchent à l’homme dans toutes ses dimensions : biologique, psychologique et sociale. Pour appréhender cette complexité, nous avons fait appel aux regards croisés de plusieurs disciplines : neurobiologie, neurosciences cliniques, psychopathologie, neuropsychologie, histoire, épidémiologie et sciences des données. Ce livre est ainsi écrit par sept spécialistes qui aiment à échanger, à confronter leurs points de vue pour faire émerger des pistes nouvelles de compréhension. Il s’inscrit dans l’évolution des études de la mémoire, depuis le « tournant social » initié par le sociologue Maurice Halbwachs (1925), il y a maintenant près d’un siècle. L’évolution des sciences de la mémoire, plaçant l’individu dans un contexte social, a transformé son étude, en encourageant la transdisciplinarité.
Au-delà de la thématique traitée, ce projet de livre est innovant dans la méthode utilisée pour le construire. En effet, si les écrits polyphoniques sont courants dans le monde universitaire, ils le sont moins dans les essais destinés à un public plus large. Avec l’ouverture de l’accès aux conférences d’experts grâce aux nouveaux outils de communication, cette façon de fonctionner en « séminaire » se démocratise et l’on peut s’en réjouir, tant nous pensons que c’est de la confrontation de points de vue, nourrie de compétences différentes, que peut naître une pensée riche, nuancée et complexe, au sens d’Edgar Morin, et ainsi, une compréhension plus fine et peut-être l’ébauche de solutions nouvelles face aux traumatismes.
La mémoire peut de nos jours être étudiée de façon assez poussée sur le plan biologique, mais elle ne peut se comprendre pleinement sans prendre en compte ses dimensions sociales et collectives. L’analyse des interactions entre mémoire individuelle et mémoire collective permet une compréhension renouvelée du traumatisme psychique et de ses effets durables sur la mémoire, dans un monde où les échanges entre les individus sont profondément modifiés par les nouveaux modes de vie et moyens de communication.
Pour tenter de savoir en quoi la mémoire est modifiée par un traumatisme et pouvoir esquisser des pistes de résilience, les chapitres de ce livre aborderont tout d’abord les pathologies de la mémoire associées à un traumatisme et les liens entre traumatisme et mémoire, y compris en tenant compte de leurs bases cérébrales. L’évocation de l’évolution de la mémoire à travers des traumatismes fréquents, constitués par certains bouleversements liés au vieillissement des individus et de la place singulière des mémoires numériques dans les traumatismes contemporains, éclairera sous d’autres angles la question du traumatisme. Enfin, les interactions complexes entre mémoires individuelles et mémoires collectives dans le cadre d’un événement traumatique, qui s’inscrivent à la fois dans l’histoire personnelle et dans celle de la société, font l’objet notamment des recherches menées par le programme transdisciplinaire « 13-Novembre ». Nous évoquerons les résultats des travaux actuels, aux confins des sciences humaines et sociales et de la neurobiologie. Quelques enseignements se dessinent à travers ces différentes voix ?
Très concrètement, dans les chapitres successifs, nous traiterons tout d’abord de la mémoire, des traumatismes et de leurs interactions en précisant les notions utiles pour la compréhension de la suite du propos. Nous aborderons ensuite, grâce à l’expérience clinique de Thierry Baubet et avec une grande vigilance, la difficile question des liens entre oubli, souvenirs et traumatismes. Les traumatismes subis dans l’enfance sont-ils vraiment oubliés ? Peuvent-ils vraiment resurgir à l’identique, après des années où ils semblaient sortis de la conscience ?
Apportant le regard du neurologue sur des traumatismes vécus à l’âge adulte, Catherine Thomas-Antérion rapportera des formes d’amnésie protectrices chez des patients ayant fait face à un état de « stress dépassé », voire de trouble de stress post-traumatique (TSPT). Ces différentes situations cliniques montrent la place particulière prise par la mémoire dans les suites d’un traumatisme. Ainsi, une première forme d’amnésie pouvant survenir à la suite d’un choc psychologique ou d’un stress physique est l’ictus amnésique, un épisode soudain et transitoire d’amnésie massive, dans laquelle le sujet oublie ce qu’il vit, au fur et à mesure, et ce qui vient de se passer le jour même ou encore les quelques derniers jours, avant de recouvrer sa mémoire, généralement sous 24 heures. Un traumatisme peut aussi entraîner une amnésie dissociative, se traduisant par l’oubli d’une plus grande tranche de sa vie, qui peut nécessiter une période assez longue pour « revenir » en mémoire.
Extrait de "Mémoire et Traumatisme", écrit par Francis Eustache, Hélène Amieva, Thierry Baubet, Jean-Gabriel Ganascia, Robert Jaffard et al. aux éditions Dunod que nous remercions pour la publication.
Pour obtenir le livre : https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/memoire-et-traumatisme