La BCE et l’objectif des 2% d’inflation: principe théorique ou position dogmatique ?

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Par Alain Desert Publié le 2 juin 2016 à 5h00
Zone Euro Inflation Regle Bce
pixabay - © Economie Matin
-0,1 %L'inflation dans la zone euro, au mois de mai, sur un an, était de -0,1 %.

Il y a en économie des lois, des forces, des dynamiques, des règles, parfois des dogmes, ces formulations de la foi qui nous échappent.

Parmi les règles les plus célèbres, vous avez « les 3% de déficit public » autorisé, inscrit au marbre du traité de Maastricht, « les 60% de dette publique » (hélas largement dépassés !), « les 2% d’inflation », un des points clés du mandat de la Banque Centrale Européenne, une forme de souscription à vie, pour assurer la stabilité des prix.

C’est sur ce dernier point que l’article va se pencher. Cette règle des 2% a-t-elle un fondement théorique ? Est-elle atteignable par des moyens appropriés et raisonnables ? Est-elle pertinente dans un monde en profond changement ? N’est-elle pas le reflet d’une forme de nostalgie des temps anciens ?

Objectif 2%

La BCE se donne donc pour objectif de ramener le taux d’inflation en zone euro à 2% ou légèrement inférieur, le patron de l’institution n’étant pas avare de répétitions à ce sujet lors de ses conférences de presse. Or, personne ne sait vraiment si l’économie européenne est en situation de produire un tel niveau d’inflation tant des forces contraires semblent y résister. On constate depuis quelques années une tendance à la désinflation (baisse régulière du niveau d’inflation, à ne pas confondre avec la déflation), portée par de nouvelles forces économiques liées à la mondialisation, à une croissance faible, à des taux d’emplois décroissants, au vieillissement des populations, aux nouvelles technologies du numérique, etc. Du coup, pour atteindre l’objectif en question, la BCE est contrainte de déployer une politique monétaire délirante, extravagante, projetée hors des sphères de la raison.

Les économies changent de comportement

Comme je l’ai expliqué dans de précédents articles, les économies occidentales ne vivent plus avec les mêmes principes de causalité que l’on connaissait dans un passé relativement récent. Par exemple un taux de chômage en réduction dans certains pays (tout du moins présenté comme tel dans les statistiques officielles : Etats-Unis, Allemagne, Royaume-Uni), ne crée plus de tensions sur les salaires comme auparavant. Nous n’avons donc plus le cercle vicieux que l’on a connu dans les années 70/80, « augmentation des salaires >>> inflation >>> nouvelle augmentation des salaires >>> nouvelle augmentation des prix ».

La BCE tambourine sans relâche le même message, revenir à 2% d’inflation, justifiant ainsi des interventions lourdement calibrées qui finalement se révèlent sans grande efficacité. Alors, constat établi, l’institution poursuit sa marche en avant, en réalité sa fuite en avant, elle continue encore et encore, toujours plus fort, insensible aux sirènes allemandes la suppliant d’arrêter ce jeu d’apprentis-sorciers.

Mais si le système économique ne répond plus comme souhaité face à des contextes très évolutifs, tel qu’une intégration économique croissante à l’échelle planétaire, et en fin de compte face à la complexification des systèmes, pourquoi une telle persistance dans l’erreur ? Quand je dis « erreur », il faut comprendre non pas tant l’idée de fixer un objectif d’inflation à 2%, mais bien la mise en œuvre de moyens non conventionnels disproportionnés, et sans effets notables. L’économie déteste la déraison ! N’est-ce pas là une forme « d’offense » à l’endroit de l’économie que l’on oblige à aller là où elle ne veut pas, et par conséquent une insulte à l’égard de populations exposées outrageusement à des risques monétaires néfastes aux équilibres économiques. L’institution évolue vers un dogmatisme préoccupant, restant inflexible sur une politique qui introduit à présent de nombreux doutes chez les économistes. Son émancipation inquiète autant que son autocratie, elle joue avec les limites de son cadre juridique, déstabilisant ceux-là mêmes, notamment l’Allemagne, qui désiraient à l’époque de la construction de l’euro une indépendance totale de la Banque Centrale.

2%, est-ce un bon objectif ?

« Les 2% » représentent-ils un bon niveau d’inflation ? Comment a été déterminé ce chiffre …, le hasard, les résultats de modélisations sophistiquées, l’empirisme, le bon sens ?

La réponse est je pense assez simple. Un des objectifs de la politique monétaire de la BCE est d’assurer la stabilité des prix, alors quelle réponse apporter ? Construisons un raisonnement à sa place : il ne paraît pas très raisonnable de viser une inflation moyenne à 0%, au risque de rentrer en territoire négatif, donc en déflation ; il ne paraît pas plus pertinent de viser le 1%, car trop proche du zéro, et source de scénarios similaires ; 3 ou 4% seraient déjà des valeurs trop élevées, avec un risque non négligeable d’un manque de maîtrise des dynamiques possibles, pouvant faire craindre un dérapage inflationniste, … donc l’objectif le plus logique, le plus acceptable, le mieux maîtrisable, le plus consensuel, ne peut être que 2%. Voilà, aucun modèle, aucune construction intellectuelle sophistiquée n’est nécessaire pour fixer un objectif d’inflation raisonnable avec une certaine allure de bien-fondé. D’ailleurs, j’en profite pour noter que l’exploration économique, la vision du futur ne se prêtent plus à des modélisations élaborées qui aboutiraient à des schémas décisionnels inopérants. Le bons sens doit regagner du terrain.

Peut-on cibler le 0% ou le 1%

Peut-on imaginer durablement un niveau d’inflation moyen à 0%, ou proche de cette valeur ? Cette représentation froisse forcément nos esprits habitués depuis l’enfance à un monde inflationniste, et particulièrement dans les années 70/80. Nos schémas intellectuels ont toujours un peu de difficultés à s’accoutumer à de nouveaux paradigmes. Il faut rappeler qu’une inflation continue sur une longue période fait croître de manière exponentielle la masse monétaire, les prix, les salaires, avec les divergences macro-économiques inhérentes à ce type de croissance. Une des formules préférées d’un certain Mr Bartlett, professeur émérite de physique de l’université du Colorado, était: « la plus grande faiblesse de l'espèce humaine vient de son incapacité à comprendre la fonction exponentielle ». Espérons que la BCE soit dotée d’une faculté toute particulière à comprendre cette fonction que j’avais qualifiée de diabolique dans un précédent article intitulé « la croissance et la diabolique fonction exponentielle ».

D’un point de vue purement théorique, l’inflation à 0% ne me semble pas poser de vrais problèmes si les mentalités intègrent cette forme d’état stationnaire comme une normalité, sans convoquer les comportementaux qui peuvent effectivement activer ou intensifier de possibles forces déflationnistes, et catalyser les prophéties auto-réalisatrices. Ceci dit, la BCE ne peut contrôler l’ensemble des facteurs contribuant aux équilibres ou aux dérives des systèmes et doit composer avec des économies qui ont perdu tout sens de négociation, se permettant d’écrire des pages d’histoire sans que les hommes aient le temps d’en être les co-auteurs.

L’inflation a toujours été une aubaine pour les dirigeants politiques, et c’est pour cela que la nostalgie n’est jamais très loin, car elle permet d’effacer les dettes, de faire croître les recettes fiscales et de mieux équilibrer les budgets. Mais problème, aucun citoyen n’a envie de voir les prix monter en même temps que constater une baisse de son pouvoir d’achat. L’inflation a toujours été un impôt déguisé, particulièrement pour les plus démunis. Là est le paradoxe ! Aujourd’hui l’inflation quasi nulle permet une certaine progression du pouvoir d’achat à la faveur d’une progression des salaires, aussi faible soit-elle. Alors, quel camp choisir ? Celui du citoyen qui veut croire à la préservation de la valeur de l’argent, ou celui des politiques empêtrés dans les dettes et ses déficits ?

Une inflation qui durablement s’installerait autour de 0% remettrait en cause les logiques salariales et les combats sociaux qui se sont toujours inscrits dans le « toujours plus », car tout devrait être recalé par rapport à ce point zéro (que connaît bien le Japon !), posant le problème quasi insoluble de la flexibilité des ajustements des salaires nominaux à la hausse comme à la baisse. En résumé, l’inflation sert de cautionnement à l’augmentation des salaires et donc à l’apaisement social.

Huit ans après le début de la crise, toujours le « non conventionnel » !

Huit années après le début de la crise, l’Europe se trouve face à une institution qui s’enlise dans ce qu’on appelle le « non conventionnel », déployant pratiquement toutes les armes monétaires dont elle dispose. Le danger de poursuivre aussi longtemps une telle politique réside en partie dans la réduction durable des marges de manœuvre indispensables pour affronter une nouvelle crise financière ou une nouvelle récession. Il faut rappeler que les états ne sont pas mieux réarmés, dépouillés qu’ils sont avec des dettes qui avoisinent les 100% du PIB, et des déficits publics encore trop élevés, particulièrement en France. Ils ne pourront plus amortir les chocs comme cela a pu être réalisé en 2009 et 2010.

D’une certaine manière, on peut dire que ce sera le prix à payer de ce dogmatisme, de cet entêtement pathologique à maintenir des objectifs d’inflation qui paraissent inatteignables par des moyens raisonnables, ne mettant pas en danger la stabilité monétaire et les grands équilibres. Les dirigeants de la BCE, évidemment conscients des dangers et des risques, considèrent que les bénéfices que l’on peut attendre de sa politique contrebalancent largement les éventuels désagréments, ou plus prosaïquement que le jeu en vaut la chandelle. Espérons qu’ils aient raison !

Conclusion

En fait, il n’y a pas de loi économique qui viendrait au secours de nos hésitations, l’inflation idéale, qui d’ailleurs ne peut être décrétée, dépend de l’état et des tensions du marché du travail, de la concurrence interne à chaque pays, de la concurrence entre pays, de l’évolution du pouvoir d’achat, de la confiance des consommateurs, des technologies du numérique amenant certains systèmes de production à des coûts marginaux quasi nuls (c’est le premier élément qui est cher à produire, celui qui intègre toute la réflexion et l’intelligence, les autres ne sont que duplication), etc.

Il paraît assez clair que l’Europe n’est pas dans une phase inflationniste, considérant cependant que le ressenti de l’inflation est tout à fait personnel, et que l’idée même de provoquer une inflation que le système économique refuse, résulte du doctrinaire, du péremptoire.

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Ingénieur en informatique, Alain Desert a longtemps travaillé sur des plates-formes grands systèmes IBM où il a eu l'occasion de faire de nombreuses études de performances. Il est un adepte de l'approche systémique.