Vivre et cultiver sans glyphosate ? Episode IV

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Par Bruno Parmentier Modifié le 31 mars 2021 à 10h53
Vivre Cultiver Sans Glyphosate Episode 4
@shutter - © Economie Matin
70%Il faudrait encore augmenter de 70 % la production agricole mondiale d'ici à 2050, mais sans glyphosate.

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4. Une combinaison complexe de moyens pour produire sans

Il faudra donc arriver à produire tôt ou tard sans glyphosate. Plutôt tôt que tard. Mais on doit aussi continuer à produire intensément. Rappelons qu'il faudrait encore augmenter de 70 % la production agricole mondiale d'ici à 2050, si on veut éviter une crise alimentaire mondiale, comme je l'ai détaillé dans un dossier précédent.

Alors même que les effets du réchauffement climatique vont être particulièrement délétères chez les agriculteurs. En particulier ceux des pays tropicaux , mais aussi ceux des pays tempérés , comme je l'ai exposé précédemment. On ne pourra pas se contenter des relativement faibles rendements de l'agriculture biologique, puisque ce serait désastreux d'augmenter fortement les surfaces cultivées dans le monde, inévitablement au détriment des forêts.

Avec les interdictions à venir, il faut impérativement inventer et mettre en place un ensemble de solutions complémentaires (s'il y en avait une seule, ça se saurait). Tentons de citer quelques batailles qu'on peut inventer envers les adventices, dans le cadre d'une agriculture écologiquement intensive :

  • Les dérouter , en allongeant les rotations, et en faisant se succéder des plantes à cycle de vie différents (céréales d'hiver et de printemps, légumineuses, etc.). En particulier des plantes qui se récoltent avant la montée des graines des adventices, ou des plantes qui se développent précocement et étouffent les adventices. On peut également décaler les semis.
  • Les étouffer, en couvrant le sol en permanence pour ne pas leur laisser la possibilité d'accéder aux ressources (eau, soleil, etc.) : via des plantes de couverture, des cultures dérobées, des faux semis, etc. On choisira de préférence des plantes gélives (qui ne résistent pas au gel), mais avec le réchauffement climatique, on n'est jamais assuré qu'il y ait un vrai gel partout. L'idée est d'utiliser des plantes dites « de service » (qui nous rendent des services, ici d'herbicide) : sélectionner par exemple celles qui poussent plus vite que les autres, recouvrent le sol avec un feuillage large pour leur faire de l'ombre aux autres, et ont le bon goût de geler l'hiver.

  • Les recouvrir avec du mulch, du bois raméal fragmenté, ou du paillage, végétal (écorces de pin, de peuplier, coques de cacao, lin, chanvre, etc.) ou minéral (pouzzolane, schiste, ardoise, tuiles concassées, etc.), ou encore bâches plastiques (recyclables !). Cela peut être valable en particulier en horticulture, mais on ne voit pas très bien l'application de ce type de technique pour les céréales.

  • Les empoisonner autrement, avec des insecticides qui sont encore autorisés (mais pour combien de temps ?), comme le prosulfocarbe, le S-métolachlore, le pendiméthaline, l'acide pélargonique le 2.4D ou le Dicamba. Ou, mieux, via des produits naturels utilisés par les agriculteurs, par exemple à base de géranium, vinaigre blanc, divers acides gras, huiles de pin. Ou les nouveaux bio-produits d'imitation de la nature qui vont arriver rapidement, sur la base de l'allélopathie (mécanismes inhibiteurs de proximité inspirés de certaines plantes, qui ont historiquement pu résister à la concurrence en produisant des molécules toxiques contre les adventices). Cette bio-in
    spiration garantit que les molécules sont métabolisables dans la biosphère et qu'elles peuvent donc avoir une fin ultime.
  • Les brûler ou les ébouillanter sélectivement (une solution coûteuse en énergie). Des techniques de destruction électrique, voire au laser, arrivent également sur le marché, éventuellement couplées à des drones. Mais, compte tenu de leur coût elles seront probablement réservée à des cultures à très forte valeur ajoutée.
  • Les solariser : En horticulture sous serre, et parfois en plein champ, on utilise également la technique desolarisation. Entre les cultures, on aplanie et humidifie le sol puis on étend une bâche plastique transparente, et on laisse le soleil élever la température à 40 ou 50° pendant 6 à 8 semaines, ce qui brûle les adventices restantes.

  • Les faire manger par certains animaux : citons par exemple les canards (qui n'aiment pas le riz) lâchés dans les rizières ; ils les désherbent impeccablement.
  • Les enfouir durablement (jusqu'à ce que mort s'ensuive). Des expérimentations sont actuellement menées sur l'introduction de plages de 5 années de prairies dans les zones céréalières, après labour. Des éleveurs de ruminants itinérants louent ces terres, qui dans cette période se fertilisent et se débarrassent des graines d'adventices, les rendant ensuite prêtes à une agriculture sans labour.
  • Les arracher sélectivement , à la main, par binage ponctuel ou via des nouveaux outils qui se développent beaucoup actuellement comme la herse étrille ou la houe rotative, avec des tracteurs guidés par GPS, à la fois pour le semis et pour le désherbage. On est là dans une extrême précision, pour arriver à faire un choix rigoureux de ce qu'on arrache, et ne pas faire prendre de risques sur la culture elle-même.

  • Les faire arracher par des robots. Cette ultra précision prend beaucoup de temps, car il est hors de question d'avancer à toute vitesse dans les champs, et qu'il faut passer plusieurs fois à quelques semaines d'intervalle, pour ne pas laisser les adventices acquérir une taille qui compliqueraient la reconnaissance et l'arrachage. Or le temps des agriculteurs est précieux. Ceci amène évidemment au développement rapide de robots autonomes, qui commencent à arriver ; gageons qu'on en verra de plus en plus souvent dans nos champs, nos serres et nos vignes, car ce secteur est en plein développement.

En conclusion, on voit bien que la mise en œuvre combinée de ces solutions réclame un raisonnement anticipateur et complexe, et peut être vue comme « un investissement » patient, nécessitant de savoir gérer les risques. Mais avec un réel espoir de devenir de plus en plus efficace avec le temps. On va procéder par tâtonnements, car ce qui a marché une année n'est absolument pas assuré de marcher l'année suivante si les conditions météorologiques, hydrologiques ou sanitaires ont changé.

De plus, ce qui est valable dans un terrain plat ne l'est pas sur des parcelles non mécanisables, par exemple sur des sols très caillouteux, un terrain accidenté ou des terrasses. Ce qui est fréquemment le cas pour les vignes ou l'arboriculture, qu'on a souvent implanté justement là où on avait du mal à faire des céréales.

Et tout ceci a un coût tout à fait réel : on parle bien de centaines de millions d'euros annuels, voire en milliards. Qui va payer ? Le gouvernement commence à comprendre que ça risque d'être lui, en imaginant des indemnités ou des soutiens du type « crédit d'impôt temporaire », pour ceux qui se passent de désherbage chimique. Mais il hésite en réalisant l'ampleur du coût et sachant que cela risque de durer des années avant que l'on trouve des solutions économiques, fiables et satisfaisantes pour toutes les cultures et tous les terrains.

Évidemment les agriculteurs, eux, ont très peur que ces aides de l'état ne représentent qu'une faible part des coûts qu'ils auront à supporter.

À terme il faudra bien que les consommateurs financent les exigences des citoyens. Car il est difficile d'imaginer qu'une augmentation forte et permanente des coûts de production ne finisse pas un jour par provoquer une augmentation du prix des produits alimentaires. On voit par exemple que les produits bios, qui coûtent plus cher à produire, sont vendus aux consommateurs à des prix nettement plus élevés.

Sauf à abandonner purement et simplement l'agriculture dans les pays européens très sensibles aux problèmes environnementaux, au profit de l'importation de produits issus de pays nettement moins regardants.

En fait, l'erreur est peut-être dans l'idée très idéologique du tout ou rien (autorisation où interdiction). On pourrait tenter l'option du joker : on interdit le glyphosate, mais on donne en même temps 5 jokers à chaque agriculteur. L'interdiction l'incite à faire de vraies expérimentations de solutions alternatives, mais il reste sécurisé par le fait qu'il lui reste encore 5 possibilités d'utilisation de ce produit en secours, les années où ce qu'il a essayé n'a pas bien marché…

On passe vraiment à une agriculture de plus en complexe, mais passionnante et techniquement faisable, car précisément on dispose dorénavant, en particulier grâce à l'électronique, d'outils d'analyse et d'action beaucoup plus précis.

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Bruno Parmentier, Ingénieur des mines et économiste, est l'ancien directeur (de 2002 à 2011) de l’ESA (École supérieure d'agricultures d'Angers). Il est actuellement consultant et conférencier sur les questions agricoles, alimentaires et de développement durable.  Il a publié "Nourrir l'humanité"  et « Faim zéro » (éditions La Découverte), "Manger tous et bien » (Editions du Seuil), « Agriculture, alimentation et réchauffement climatique » (publication libre sur Internet) et « Bien se loger pour mieux vieillir » (Editions Eres) ; il tient le blog "Nourrir Manger" et la chaîne You Tube du même nom. Il est également président  du CNAM des Pays de la Loire, de Soliha du Maine et Loire, et du Comité de contrôle de Demain la Terre, et administrateur de la Fondation pour l’enfance.