A l’occasion d’une invitation sur le plateau de Pièces à Conviction (France 3), l’avocat du milliardaire russe et propriétaire de l'AS Monaco, Dmitri Rybolovlev a tenu à injecter un peu de bon sens et de rationalité dans les débats qui entourent son client. Et à battre en brèche les lieux communs cultivés, en France, à propos des justiciables en col blanc, particulièrement lorsqu'ils ont le double inconvénient d’être russes et milliardaires.
Me Hervé Temime, l'avocat de Dmitri Rybolovlev, s'est rendu le 13 décembre sur le plateau de l’émission Pièces à conviction, diffusée sur France 3. Il a rappelé que son client, placé sous contrôle judiciaire, était absolument libre de ses mouvements et a démenti que le milliardaire avait quitté Monaco. « Il est complètement faux qu’il a "pratiquement disparu du Rocher". Il n'y passe jamais tout son temps », note Me Temime. « C’est un homme qui voyage beaucoup, qui voyage beaucoup tout le temps, cependant il répond toujours à toutes les convocations qui lui sont adressées par la police ou la justice. Et il y répondra à l’avenir. Il n’est nullement en cavale. Mieux : il est revenu à Monaco, notamment pour assister à un entraînement de l'équipe dont il est l'actionnaire principal et propriétaire. Il mène une vie absolument libre, tout en se mettant à la disposition de la justice », poursuit-il.
Présomption de culpabilité
L'affaire Rybolovlev, roi du potassium russe soupçonné de trafic d’influence, est indiscutablement le scandale le plus retentissant dans l'histoire moderne de la Principauté de Monaco. La démission des hauts responsables du système judiciaire, une manifestation de policiers en faveur de leurs collègues mis en examen : du jamais vu sur le paisible Rocher. Installé dans la Principauté depuis 2011, Rybolovlev, qui est devenu président et propriétaire principal de son fameux club de football, jouait un rôle important dans la vie monégasque.
Tout cela a tourné à son désavantage : le 6 novembre dernier, en répondant à une convocation, il a été appréhendé par la police et a dû passer la nuit en garde à vue. La vie et les activités de Rybolovlev et de ses collaborateurs sont, depuis, examinées à la loupe par les médias, qui dépeignent le milliardaire de façon peu avantageuse. Facile : l’homme est russe, et fait partie des personnalités les plus riches de la planète. Mais ce n’est pas la liste exhaustive de ses « crimes ». Installé à Monaco, il communiquait avec des membres de la famille princière et des hauts fonctionnaires, leur offrant des cadeaux pour les fêtes et les invitant chez lui. Son club de foot fournissait aux policiers des places pour les matches - une pratique courante pour les 40 clubs français des Ligues 1 et 2, mais qui voudrait s’en souvenir maintenant ? Quelle que soit la destination d’un voyage de Rybolovlev, la presse claironne qu’il « fuit la justice » ou qu’il a « disparu ». S’il n’assiste pas à un match de l’ASM, il « a abandonné son club ». Tant pis s'il fait ensuite son apparition à un match de la Ligue des Champions, disputé par l'ASM face à l'Atlético à Madrid, ou à un entraînement de son équipe à La Turbie, c'est moins intéressant pour le public que les revenus des employés de l’ASM ou le contenu de leur correspondance par SMS.
Dmitri Rybolovlev, accusé idéal
« Des rumeurs malveillantes sont diffusées à son compte, aussi malintentionnées que toutes les publications qui paraissent à ce sujet depuis un moment déjà », regrette Me Temime. À l’origine des problèmes de Dmitri Rybolovlev sur le Rocher, une plainte qu'il a déposée lui-même. Entre 2003 et 2014, l’homme d’affaires suisse Yves Bouvier, un professionnel du déménagement d’oeuvres d’art, achetait pour Rybolovlev des tableaux de maîtres (Picasso, Gauguin, de Vinci et autres). Il avait été présenté au Russe par Tania Rappo, une amie de la famille. Il y a quelques années, Rybolovlev a découvert que le Suisse n’agissait pas en simple agent pour constituer sa collection de tableaux mais qu'il les achetait pour son propre compte avant de les revendre à son client avec une marge comprise entre 50 et 80 %. D’après Rybolovlev, les pertes qui lui ont été ainsi infligées se montent à 1 milliard de dollars.
M. Bouvier et ses avocats s’en tiennent à une autre thèse : le Suisse n’était pas un agent, mais un marchand d’art indépendant, il était donc libre de fixer un prix que l’acheteur était prêt à payer. Bouvier n’essaie même pas de nier qu’il donnait le change à ses clients en leur racontant des histoires pour augmenter les prix, il s’agirait là, selon lui, d’un « argument commercial ». Il semble trouver normal que Tania Rappo, dont le compte en banque a grossi d’environ 100 millions d’euros suite à la coopération entre Bouvier et Rybolovlev, ait dit qu’il s’agissait d’une « commission honnête ». Et qu’elle n’en ait pas informé son ami Rybolovlev car « il ne lui a pas posé la question ». Au début de 2015, M. Yves Bouvier a été arrêté à Monaco mais libéré sous caution trois jours plus tard. Peu après, l’avocate de Rybolovlev, Me Tetiana Bersheda, a enregistré avec son portable une conversation avec Tania Rappo qui portait sur les détails des transactions concernant les tableaux. Bersheda a mis son portable à la disposition de la justice qui en a extrait tous les messages. C'est de cette façon qu’ont été divulgués les informations à propos du samovar offert au chef de police Régis Asso, de l'invitation au ministre de la Justice Philippe Narmino à séjourner au chalet de Gstaad ou encore des places de match pour les gardiens de la paix. Des informations obtenues de façon illégale, donc, puisqu’aucun mandat n’autorisait la justice à y accéder.
Me Temime admet que les us et coutumes d’une petite principauté où tout le monde se connaît puissent paraître bizarres, vus de Paris. « D’accord, je comprends qu’il y a des choses qui puissent vous étonner et que je n’approuve pas personnellement, lorsqu’il s’agit des relations entre les gens, mais cela n’a aucun rapport avec une affaire de justice », dit Me Temime. Il estime que l’ex-ministre de la Justice Philippe Narmino n’aurait pas dû accepter l’invitation de Rybolovlev à visiter son chalet de Gstaad. « Qu’est-ce que la corruption ? C’est l’obtention d’un gain ou l’octroi d’un avantage en échange de quelque chose. C’est pourquoi si vous m’aviez posé la question qui est contenue en quelque sorte dans votre question, « Que pensez-vous de ce voyage ? », j’ai déjà dit à Monsieur [Pascal] Henri : je ne le trouve pas convenable. Est-ce que ce voyage a profité à Monsieur Rybolovlev personnellement, a-t-il suscité un comportement particulier au détriment de Monsieur Bouvier ? Ma réponse et non. Si vous présentez des preuves du contraire, je suis prêt à en discuter », a dit l’avocat.
Bouvier vs Rybolovlev, ou le cliché du Suisse paisible contre celui du Russe sulfureux
Est-ce possible de discuter sérieusement de l'« achat de la justice monégasque par le clan Rybolovlev » ?, demande la présentatrice. Oui, Yves Bouvier a été arrêté pour trois jours. « Cette arrestation, a-t-elle eu lieu, selon vous, sur la décision de Monsieur Narmino ? questionne Me Temime de façon rhétorique. Non. Sur la décision du Parquet ? Non. Elle a été réalisée par un juge d’instruction, complètement indépendant, absolument honnête, absolument impartial, qui n’a jamais été inculpé et ne le sera jamais ». Presque quatre années se sont écoulées depuis, et aucun progrès tangible dans l’affaire Bouvier n’a été enregistré. Le portable du Suisse, saisi au moment de son arrestation, n’a même pas été analysé. À la différence de celui de Tetiana Bersheda dont les textos ont été extraits de manière illégale, selon Me Temime, qui précise que la légitimité de l’utilisation de ce portable est actuellement examinée par la Cour de révision. Raison pour laquelle il a conseillé à Rybolovlev de ne pas répondre aux questions des policiers lorsqu’il a été placé en garde à vue.
Pendant ce temps, Yves Bouvier sillonne le monde tranquillement en distribuant les interviews, tout en étant, en parallèle, soupçonné de fraude fiscale pour 165 millions de francs dans sa Suisse natale. Ce qui ne l’empêche pas, pour l’instant, de se tirer d’affaire et de se faire passer pour une victime. Qui gagnera les faveurs de l’opinion publique : un Suisse travailleur et ponctuel ou un « oligarque russe » qui possède un club de foot à Monaco ? La réponse est évidente. La question qui se pose aujourd’hui n’est donc pas de savoir si Dmitri Rybolovlev est coupable ou non de trafic d’influence, mais s’il aura au moins le droit à une enquête impartiale et objective ?