Revenu universel : la voie du vice

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Par Philippe Préval Modifié le 30 décembre 2016 à 14h06
Pieces De Monnaie
@shutter - © Economie Matin
76,5 %Une consultation publique sur l'introduction du revenu universel dans le canton suisse de Lausanne a recueilli 76,5% de votes défavorables.

La France, qui était classée sixième il y a 15 ans derrière le champion suédois, est aujourd’hui la première nation mondiale quant aux dépenses sociales (31% du PIB) [1], devant l’Italie (à 2 points), laissant l’Allemagne à six points et l’Angleterre à 8.

On ne saurait mésestimer cette performance : si nous courions le 100 mètres, nous aurions treize mètres d’avance sur les Allemands et sur les suédois, qui se sont totalement laissés distancer. Certains esprits chagrins noteront que les deux grands pays industriels européens qui traversent une crise profonde sont justement l’Italie et la France, mais ce sont des esprits chagrins.

La raison avancée pour la croissance de ces dépenses (de 24% à 31%) est le vieillissement de la population. Certes, c’est une raison ! Mais, sommes-nous le seul pays européen dont la population vieillit ? Ou bien, sommes-nous le seul pays à la fois laxiste sur l’âge de départ à la retraite, généreux sur les dépenses d’aides sociales directes (5,5% du PIB en France, 3,5 en Allemagne), ouvert à tous les vents pour les soins (CMU) et les remboursements (cf., par exemple, les médicaments anti-Alzheimer dont l’inefficacité est avérée) ?

La croissance déraisonnable des budgets sociaux est une des tares de ce pays, avec la dégénérescence de la classe politique (devenue une caste flottant au-dessus du monde) et l’extension indéfinie du nombre de fonctionnaires. C’est dans ce contexte charmant que le Sénat, dispendieuse maison de repos régulièrement tancée par la Cour des Comptes, a publié un rapport sur le revenu universel intitulé: « Le revenu de base en France: de l'utopie à l'expérimentation ». La lecture de ce rapport ne manque pas de sel. En particulier, il s’intéresse à nos voisins (et concurrents) : « un thème qui devient un sujet de débat politique en Europe ». En effet, pas moins de 3 pays s’y sont intéressés, et de quelle manière :

• La Suisse, en l’occurrence le canton de Lausanne, a fait sous la conduite d’un député socialiste (économiste de profession), une consultation qui s’est terminée par une victoire éclatante du non (76,5%).

• La Finlande (5 millions d’habitants, 18 habitants au km2) se penche sur le sujet.

• Enfin, les Pay-Bas l’étudient également. À ce propos, le rapport note que ce pays retrouve le plein-emploi, ce qui diminue l’intérêt du modèle et semble ignorer que, depuis 1990, il a diminué de 2 points la part des dépenses sociales sur son PIB (27 à 25%). Pure coïncidence !, s'exclamera l'idéologue.

Forts de cette confirmation internationale, les sénateurs se lancent dans l’expérimentation.

Les partisans de cette réforme sont assez multiples et hétéroclites, poursuivant des buts différents - c’est une partie de l’originalité du problème. On peut les classer en trois groupes : les libéraux fantaisistes, les technocrates à la française, et nos amis les gauchistes.

Commençons par les libéraux - un panorama est présenté sur le site de Contrepoints. Hayek lui-même en a parlé, bien que de façon un peu ambigüe [1]. L’idée sous-jacente de ces libéraux très téméraires semble être que le remplacement des diverses allocations par une seule, universelle, permettra de simplifier et rationaliser les structures de distribution (12 en France aujourd’hui) et de faire des économies directes au passage. Ce serait, in fine, un moyen de baisser les dépenses sociales. Outre que lesdits libéraux parlant de contextes fort différents (les USA ne sont pas la France), il est difficile de tirer de leurs contributions des règles directement applicables. L’idée qu’on puisse baisser les dépenses sociales par une astuce d’organisation, en faisant l’économie d’une explication sur le fond avec le peuple et sans passer à travers des phases de conflits est illusoire. Notons que ces libéraux ne représentent pas tout le libéralisme français. Nombreux de leur coreligionnaires les considèrent comme des simplets.

A gauche, c’est tout autre chose. Le revenu universel se situe dans la ligne progressiste d’une évolution de la société où le travail perd de sa prépondérance et est, en cela, cohérent avec les programmes de réduction du temps de travail prônés en particulier par le mouvement Nouvelle Donne. Le Revenu universel donne aux citoyens une certaine liberté pour choisir leur vie en les détachant partiellement de la contraintes du travail. Il faudrait donc instaurer ce revenu de base pour que les citoyens soient « autonomes et s’émancipent ». Plus généralement, la notion de contribution à la valeur ajoutée pour la société est étendue au bénévolat et à d’autres actions comparables. Après tout, si les ouvriers préfèrent aller entraîner des jeunes au football qu’à l’usine, c’est compréhensible. Pourquoi ne pas rémunérer ces actions puisqu’elles créent de la valeur ? Deux difficultés se présentent toutefois : d’une part les limites à poser (le football, oui, mais pourquoi pas la chasse aux papillons ou la cueillette des champignons ?) et, d'autre part, le piège psychologique et professionnel que ce mode de vie pourrait représenter pour les travailleurs et pour le travail en général, piège que voient bien certains syndicats, tel FO. Et quoi qu'il advienne, ce dispositif sera financé, d’une manière ou d’une autre, par de nouveaux impôts.

Enfin, au milieu, c’est un peu plus technocratique. Dans la lignée des réformes lisibles, simples et efficaces qui font le charme de notre beau pays (exemple : le CICE), les technocrates nous ont concocté des ajouts de revenus pour favoriser le retour au travail, des impôts négatifs, une flat-tax avec effet de retour, le tout packagé par des économistes qui campent aujourd'hui devant leur usine à gaz flambant neuve, posant pour la photo, tels les inventeurs du ramasse-miettes automatiques au concours Lépine. Nul doute que ces réformes fassent une heureuse : la bureaucratie française, qui pourra recruter de nouveaux fonctionnaires afin de nous calculer tout ça et de régler les flux abstraits.

Dans la course politique actuelle, l’option libérale était (très marginalement et très étrangement) représentée par le sinistre Poisson, qui vient de se porter volontaire pour un séjour en cellule de dégrisement pour antisémite notoire. N'en parlons plus. NKM se situe entre libéralisme et technocratie. Juppé ne dit rien, comme à son habitude, mais laisse son fidèle Lefebvre avancer ses pions dans un sens comparable à NKM (20% libéral, 80% technocrate). Notons que NKM invente l'argent de poche d'État : « 200 euros seront versés aux parents d’enfants de moins de 14 ans et 270 euros à ceux ayant entre 14 ans et 18 ans.» Quiconque a des enfants à élever frémira d'inquiétude à la pensée des conséquences de cette mesure sur l'équilibre familial et l'autorité parentale.
A gauche, cela se joue entre les écolos, la gauche de la gauche et la droite de la gauche de la gauche, dont le plus clair est Benoit Hamon. Il n’hésite pas : il lui faut 300 milliards ! [2] On a envie de lui répondre, comme fit un jour Giscard à Rocard qui projetait de dépenser des dizaines de milliards pour relancer l'économie européenne : "Pourquoi ce budget ? Pourquoi pas le double ? Pourquoi pas dix fois plus ? Puisque vous êtes certain de gagner à la fin, ne pas miser tous nos jetons d'un coup ?" Rocard se fissura en direct.

L’État moderne a été construit pour assurer la sécurité de ses citoyens. Il est issu des guerres civiles qui ont ravagé l’Europe pendant presque deux siècles. Au XIXème siècle, l’État s’est vu enrichi de nouvelles compétences : l’éducation et l’équipement. Cela s’est fait en collaboration avec le privé, puisque ce ne sont pas des domaines réservés ; ainsi, les chemins de fer français ont été construits par le capitalisme et sont aujourd’hui un bien public, les autoroutes ayant suivi le chemin inverse. Depuis 1945, les États européens, en particulier la France, ont étendu le champ de l’action de l’Etat au social avec une ambition et un investissement de plus en plus forts. En parallèle, s’est faite la mondialisation, et l’écart des dépenses avec la moyenne de l’OCDE s’est accru.

Le revenu universel est, qu’on le veuille ou non, dans la ligne de cette évolution qui singularise la France parmi ses concurrents (35 heures, 31% du PIB, etc). Qu’il soit promu par des politiques ou des technocrates, le résultat est le même. Sa mise en place augmentera mécaniquement la part des dépenses sociales et les prélèvements feront perdre autant de points de compétitivité. Au surplus, il aura des effets pervers sur le marché du travail semblables à celui des allocations-logement sur le marché du logement. Tout cela mis bout à bout sera, avec d’excellentes intentions, le « final clou sur le cercueil de l’économie française ». Ce n’est pas un hasard. On a parlé pour certaines réformes de bouleversement anthropologique. Nous y sommes.

L’identité est à la mode lorsqu'il s’agit de sujets futiles ou rentables électoralement. C’est ici, pourtant, qu’elle devrait nous être rappelée. Nous sommes des Judéo-chrétiens, nous sommes des Gréco-latins. Ce monde où l’on travaille quand on veut et si l'on en a envie porte plusieurs noms : c’est le paradis, l’âge d’or, le pays de Cocagne. Tous les mythes qui constituent notre culture et toute notre histoire contredisent cette réalité idyllique. Genèse 3:19, « C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain ». Nous avons défriché notre continent au mot d’ordre de nos moines : Ora et Labora ("Prie et travaille !"). C’est le travail, lui seul, qui a enrichi l’Europe intellectuellement et matériellement et qui lui a permis de dominer le monde classique. La défiance vis-à-vis du travail relève d’une pulsion de mort opposée à notre civilisation, et vouée à la détruire.

La Grèce, notre mère intellectuelle, ne nous dit pas autre chose, Hésiode le premier. Zeus a caché le feu, et le blé qui poussait tout seul doit être planté dans de profonds sillons. Les Travaux et les Jours sont sans ambiguïté : ils nous invitent à nous garder des politiciens farceurs et des technocrates douteux. Lisez plutôt : « Rien n'est plus aisé que de se précipiter dans le vice : le chemin en est court et nous l'avons près de nous ; mais les dieux immortels ont baigné de sueurs la route de la vertu : cette route est longue, escarpée et d'abord hérissée d'obstacles ; mais quand on touche à son sommet, elle devient facile, quoique toujours pénible. »

« Garde l'éternel souvenir de mes avis : travaille si tu veux que la Famine te prenne en horreur et que l'auguste Déméter à la belle couronne, pleine d'amour envers toi, remplisse tes granges de moissons. En effet, la Famine est toujours la compagne de l'homme paresseux ; les dieux et les mortels haïssent également celui qui vit dans l'oisiveté, semblable en ses désirs à ces frelons privés de dards qui, tranquilles, dévorent et consument le travail des abeilles. Livre-toi avec plaisir à d'utiles ouvrages, afin que tes granges soient remplies des fruits amassés pendant la saison propice. C'est le travail qui multiplie les troupeaux et accroît l'opulence. En travaillant, tu seras bien plus cher aux dieux et aux mortels : car les oisifs leur sont odieux. Ce n'est point le travail, c'est l'oisiveté qui est un déshonneur. »

Voilà notre identité. Le travail est la voie de la vertu, l’oisiveté, la voie du vice. Une société qui nie le travail et cesse de respecter sa sévère grandeur est en grand danger. Elle fonce tête baissée vers une utopie. Les utopies en politique génèrent des catastrophes, des effondrements, des faillites, des massacres, toutes, sans la moindre expression. L'argent de poche d'État nous prépare mille cauchemars et quiconque en fait une grande cause, un point de programme, une promesse, est l'Ange de Lumière des Évangiles : une puissance aussi sombre qu'elle paraît claire, aussi dangereuse qu'elle paraît douce, aussi mortelle qu'elle ressemble à la belle vie.

Le revenu universel est la voie du vice.

[1] «L’assurance d’un certain revenu minimum pour tous, une espèce de plancher en-dessous duquel personne ne devrait tomber même lorsqu’il n’arrive pas à s’auto-suffire, apparaît non seulement comme une protection tout à fait légitime contre un risque commun à tous, mais un élément nécessaire de la Grande Société dans laquelle l’individu n’a plus de demande spécifique pour les membres d’une communauté particulière dans laquelle il est né. » Voir le texte intégral sur Contrepoints.

[2] « En partant de l’hypothèse d’un revenu de base équivalent au RSA socle, sa distribution à tous les Français majeurs coûterait autour de 300 milliards d’euros par an en régime de croisière, toutes choses égales par ailleurs », explique l’ancien Ministre de l’Éducation nationale. Ses modes de financement ne sont pas encore définis, mais le candidat lance des pistes : individualisation de l’impôt sur le revenu (« pour un gain immédiat de l’ordre de 24 milliards d’euros ») ; suppression des niches fiscales « injustes et inefficaces » ; lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales (« un manque à gagner de l’ordre de 80 milliards ») ; réforme fiscale du patrimoine et du numérique… » Comme tout est simple, pour ceux qui ne comprennent rien à l'économie !

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Philippe Préval est entrepreneur, DG de la société Lusis et candidat-citoyen à l’élection présidentielle.

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