Responsabilité sociale, l’autre grand chantier d’Eiffage

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Par Rédaction Modifié le 20 mai 2022 à 19h01

Nous vivons une période où, changement climatique oblige, le volet environnemental tend parfois à éclipser les autres dimensions de la RSE, les entreprises multipliant les initiatives qui illustrent leur engagement dans ce domaine. Si Eiffage n’est pas en reste en la matière, la major du BTP, héritière d’une forte tradition, s’efforce de porter tout autant d’attention à l’épanouissement des hommes et des femmes qui constituent la force d’une entreprise du secteur. Pour en parler, Guillaume Sauvé, président d’Eiffage Génie Civil et d’Eiffage Métal, deux filiales comptant quelque 15000 collaborateurs, a bien voulu répondre à nos questions.

Guillaume Sauvé, BTP, métier d’homme. C’est un lieu commun dans la profession de souligner l’importance du facteur humain, mais voulez-vous nous dire en quoi Eiffage se singularise à ce sujet ?

Un chantier c’est une rencontre entre des besoins humains, d’ordre social, économique, politique, traduits par des projets portés par des femmes et des hommes, et des solutions, élaborées puis mises en œuvre par d’autres femmes et d’autres hommes, avec leurs compétences, leur expérience professionnelle, leur vécu personnel. On m’objectera que c’est la même chose dans les autres secteurs industriels, mais je ne le pense pas. Le caractère unique de chaque chantier, les limites actuelles et à moyenne échéance à l’automatisation des processus, l’exposition aux aléas naturels font que, là plus qu’ailleurs, le facteur humain est particulièrement déterminant, et que c’est une nécessité à la fois opérationnelle et éthique de lui consacrer toute notre attention.

L’histoire d’Eiffage, et la façon dont le groupe s’est constitué, traduit cette place centrale de l’être humain. Ce sont les parcours des patrons des sociétés d’origine, les Fougerolle, Clemessy, Borie, Ballot, Roverato, leurs rencontres, les travaux menés en commun par leurs équipes de l’époque, leur capacité à échanger et à jauger les capacités de l’autre et les aptitudes respectives à œuvrer ensemble qui ont progressivement conduit à ce qu’est Eiffage. C’est ce qui fait notre marque de fabrique aujourd’hui : l’unité dans la diversité, une capacité unique à orchestrer les identités particulières sous une marque commune, à combiner centralité de la conception et subsidiarité dans l’exécution. Et tout notre système de formation et de parcours professionnel y contribue.

Précisément, comment est organisée la formation dans vos filiales ?

Le parcours d’un salarié du BTP passe par de nombreuses formations obligatoires : conduite des engins, levage des charges, maîtrise des savoir-faire fondamentaux liés à la sécurité…

Le groupe dispose pour ce faire de plusieurs centres de formation, et notamment de l’Université Eiffage, pour les sujets transverses aux différents métiers, qu’ils soient opérationnels ou relèvent du support, avec un total de 5000 formations dispensées. Chaque branche dispose également de son institut, très orienté « terrain ». Nous avons, par ailleurs, récemment ouvert un centre de formation à la soudure en Alsace, près d’une des usines d’Eiffage Métal.

Toute personne qui arrive chez Eiffage, doit avoir réalisé, au bout de trente jours et selon son emploi un certain nombre de formations obligatoires : premiers gestes de coffreur, premiers gestes de terrassier…et son chef est garant de cette progression initiale. Ensuite ce collaborateur dispose d’un an pour poursuivre un parcours normé, qui est vérifié au 1er entretien annuel.

À l’appui de cette procédure, nos logiciels RH et métiers intègrent les informations relatives au suivi de ces formations, et permettent une gestion suivie, que ce soit au plan individuel et collectif. Cela permet notamment de réaliser les actions de correction nécessaires quand tel salarié accuse un retard ou présente des lacunes dans son parcours, par rapport à l’emploi occupé, ou à celui auquel il aspire.

Outre cet aspect qualitatif, il y a un besoin quantitatif considérable, mû par l’important turn-over de main d’œuvre que connaissent nos métiers et nos chantiers, et par la nécessité de rappeler en permanence leurs fondamentaux, impliquant donc un plan de formation de la totalité de notre personnel chaque année.

Ce renouvellement est-il générateur de problèmes de recrutement ?

Nous intégrons les variations d’activités et la diversité de nos chantiers dans notre politique RH, notamment en matière de recrutement.

Constituer la bonne équipe projet implique de faire travailler ensemble des personnels qui ont une expérience dans le groupe sur de précédents projets et de « nouveaux embauchés », soit en CDI, soit en Contrat à Durée Indéterminée de Chantier (CDIC) soit en intérim.

Cette intégration permanente génère des besoins importants en formation. De même les volumes horaires d’insertion figurant dans un nombre croissant de contrats signés avec nos clients publics et para-publics, et que nous dépassons très fréquemment, nous conduisent à recruter et former. Nous mettons, un point d’honneur à participer à cet effort de solidarité nationale, en accueillant des collaborateurs qui ne sont pas tous déjà formés au BTP, qui peuvent être éloignés de l’emploi, et qui, pour 30% d’entre eux, resteront chez nous en CDI.

Ce challenge RH pourrait menacer la stabilité de notre recrutement. Mais grâce à notre enracinement territorial, grâce aux bassins de recrutement fidélisés par nos sociétés « historiques », nous parvenons sans difficulté à juguler les effets de cette tendance et pouvons intégrer les effectifs des phases « hautes » de besoin tout en maintenant la cohésion et la technicité des équipes.

À partir de la logique de formation que vous venez de décrire, comment se conçoivent les parcours professionnels, quelles sont les perspectives, notamment pour ceux qui rejoignent Eiffage dans les équipes de chantiers ?

Nous abordons ces enjeux de deux manières complémentaires.

D’une part, ceux qui en présentent les aptitudes, et ont fait la preuve de leur maîtrise professionnelle et de leurs qualités managériales, sont appelés à progresser dans la hiérarchie opérationnelle des chantiers. J’ai plusieurs exemples en tête d’excellents éléments ayant « grimpé » par tous les postes depuis la base : compagnons, chef d’équipe, grutier, chef de chantier…

D’autres profils, pour des raisons d’aptitudes fondamentales (qualités managériales en particulier…) ne sont pas amenés à évoluer vers les métiers d’encadrement, mais peuvent poursuivre leur activité technique sur les chantiers bien plus longtemps qu’auparavant. En effet le métier sur le terrain évolue vers une moindre pénibilité, une partie de nos efforts d’innovation étant dirigée dans ce sens, de façon connexe à nos progrès en matière de sécurité. Le plus pénible, c’est le port de charge, les gestes répétitifs qui sollicitent la structure musculosquelettique, et nous expérimentons pour cela des robots porteurs de charges, des exosquelettes, et même un gant bionique, qui permet d’augmenter la force de serrage, et limiter les effets de la répétition. Enfin, des robots réalisent désormais un certain nombre de tâches répétitives et laborieuses.

Juin est dans votre groupe le « mois de la sécurité », dont les enjeux sont essentiels sur les chantiers en particulier. Quelle est votre conception du sujet, et où en est Eiffage en la matière ?

Il ne me semble pas possible d’aborder ce sujet sans au préalable rendre une nouvelle fois hommage au compagnon disparu début 2022 sur l’un des chantiers, et renouveler mes condoléances, et celles de toute la maison Eiffage, à sa famille et à ses proches.

C’est un drame pour tout le monde, drame d’autant plus insupportable que les mentalités ont énormément évolué dans le BTP à ce sujet.

Il y a encore quelques années, même si on prenait déjà beaucoup de précautions, prévalait une posture fataliste, quasi « normée » statistiquement. Aujourd’hui il y a un rejet fondamental de cette posture, et l’accident corporel suscite une révolte, et des efforts redoublés pour conjurer les récidives.

Nous déployons beaucoup d’efforts pour nous rapprocher du « zéro accident », voire du risque zéro, tout en étant bien conscient qu’il n’existe pas, comme nous le rappelle hélas l’accident de janvier dernier : formation individuelle, préparation des chantiers, accueil, protection collective et individuelle, motivation des équipes…

Nous en faisons un critère de progression dans l’entreprise : les patrons qui ne progressent pas en sécurité, ne seront pas non plus performants au plan opérationnel, tout simplement parce qu’ils n’anticipent pas, ne planifient pas leurs chantiers, ne déploient pas une vision 360° de leur chantier.

Nous appuyons cette démarche sur un outil numérique, Safety Force©. Il s’agit d’une application accessible à tout collaborateur disposant d’un smartphone. Elle permet un audit instantané, avec 20 questions sur la sécurité (balisage, protection individuelle…), 5 questions sur la protection de l’environnement (préservation de la biodiversité, prévention des pollutions accidentelles……), qui donnent une image à l’instant « t » de l’état d’un chantier. Safety Force© intègre aussi un outil d’alerte. Il permet à n’importe quel collaborateur de relever les situations de « presqu’accident », quand on passe tout près du problème, d’alerter les autres chantiers pour qu’ils se prémunissent de situations similaires, et de suivre en temps réel la réaction à la situation, pour s’assurer que les mesures adéquates soient prises, et évaluer le temps de réaction.

Et concrètement, vous constatez des progrès ?

Oui, incontestablement. Tous ces efforts ont permis de progresser de manière spectaculaire ces dernières années, alors que les équipes étaient sceptiques sur les marges d’amélioration. En 2015, lorsqu’on déplorait 10-12 accidents avec arrêt de travail pour 1 million d’heures travaillées, nous nous étions fixé comme objectif de passer sous la barre des 6 en 2020, objectif que nous avons atteint en fin d’année 2020 avec 5,85 accidents avec arrêt de travail pour 1 million d’heures travaillées !

Il s’agit d’un très beau succès collectif, mais qui ne doit surtout pas nous démobiliser car l’accident de travail, intrinsèquement inacceptable en dépit de son caractère très exceptionnel, n’est pas qu’une hypothèse théorique, comme l’a illustré notre actualité récente. Le progrès néanmoins réalisé a été obtenu par l’implication permanente de chaque échelon managérial. Chez Eiffage, les délégations en matière d’hygiène et sécurité descendent assez bas sur chaque chantier, par exemple jusqu’au chef d’un tunnelier. Ils sont naturellement formés à cet effet, et cette responsabilité participe à la valorisation du travail à tous les niveaux.

Ceci s’applique à Eiffage dans toutes ses composantes, mais comment faites-vous, sur un chantier, pour vous assurer de l’homogénéité des pratiques de sécurité des autres intervenants ?

Nous avons les mêmes exigences pour nos cotraitants et nos sous-traitants. Nous ne pouvons pas nous permettre de mettre en péril la sécurité de nos propres collaborateurs, parce que nos partenaires ne seraient pas à la hauteur. Ce serait profondément contradictoire avec les objectifs poursuivis. De plus, savoir que je peux compter sur l’autre pour ne pas me mettre en danger est un facteur de confiance déterminant pour le travail entre équipes venant d’horizons différents

En conséquence, quand nous recrutons des intérimaires, nous exigeons un certificat de formation de la part des sociétés d’intérim, et nous reprenons la formation à leur arrivée sur le chantier. S’ils ne passent pas le test de sécurité à la fin de la journée, ils sont remerciés, sans appel. Parallèlement, nous excluons de travailler avec des sous-traitants qui ne présentent pas de garantie en matière de sécurité. Pour les métiers qui s’y prêtent, le stade ultérieur est de mettre en place une certification de type MASE ou ISO 45001 pour nos partenaires. Les entreprises ainsi certifiées ont généralement en matière de sécurité des indicateurs meilleurs que la moyenne.

Nous avons parlé des collaborateurs d’une manière générale. Dans un métier particulièrement masculin, qu’en est-il de la place des femmes ?

Comme vous le mentionnez, les métiers des travaux publics ont été historiquement des métiers masculins. Néanmoins, grâce à l’évolution des mentalités et grâce notamment aux progrès techniques que nous évoquions précédemment, nous connaissons une certaine progression des effectifs féminins, notamment parmi les cadres. Plus que sur les effectifs, le groupe porte donc son effort sur l’égalité entre hommes et femmes, et progresse en matière de parité que ce soit pour la formation, la rémunération ou la promotion. J’en veux pour preuve la progression d’Eiffage Génie Civil à l’Index de l’égalité professionnelle, puisque nous sommes rapidement passés de 66 points sur 100 en 2019, année de la première mesure, à 83 sur 100 en 2020. Le Groupe travaille aussi sur l’articulation entre activité professionnelle et responsabilité familiale, que ce soit en veillant à des horaires adaptés pour les réunions, en développant le temps partiel...

Dernière question. Quand on parle d’actionnariat salarié, votre société est souvent citée en exemple. Quelle place revêt cette dimension selon vous ?

Chez Eiffage, l’actionnariat salarié est quelque chose de central, puisqu’il concerne pas moins de 80% des salariés qui sont actionnaires, pour des parts dont le total s’élève à pratiquement 20% du capital.

J’y vois plusieurs vertus.

C’est un instrument managérial qui contribue à l’utilisation optimale des bénéfices, entre salaires, rétribution des actionnaires et investissements. Ici on fait d’une pierre deux coups au profit de salariés-actionnaires, dans des conditions optimales, puisque les collaborateurs bénéficient de différents avantages comme une décote de 20% sur le prix d’achat des actions, la possibilité d’utiliser leur intéressement à cette fin, etc.

Par ailleurs, pour toutes les parties prenantes, j’y vois une solide garantie de stabilité dans la durée : avec presque 20% du capital détenu par 80% du personnel, cela confère à notre actionnariat une assise qui permet de se projeter davantage dans l’avenir, pour consolider notre stratégie.

Enfin et surtout, sans mauvais jeu de mots, c’est un ciment puissant pour l’unité de l’entreprise. Avec un actionnariat salarié de cette ampleur, on est tous un peu patrons, un peu propriétaires de l’entreprise : c’est une vraie motivation pour que tout marche collectivement. Le voisin de chantier, celui de l’autre branche, de l’autre filiale, est vu comme un copropriétaire, tout autant intéressé à ce que les choses fonctionnent, et donc cette pratique incite à s’épauler continuellement, à tirer encore plus dans le sens de l’efficacité opérationnelle, de la qualité, et de la satisfaction du client.

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