Un jour, on est passé de la réclame à la publicité. Un jour, on a basculé de “faire connaître” un produit à “faire du bourrage de crâne”. C’était le 31 mars 1929, le jour où la publicité est devenue une manipulation des masses...
Publicité mensongère, un pléonasme ?
En 1995 déjà, dans un sondage Ipsos sur les Français et la publicité, 49% des personnes interrogées affirment que la publicité manipule (contre 30% qui estiment qu’elle informe). Pour 73% des Français enquêtés, la publicité NE joue PAS un rôle décisif dans le choix d’une marque plutôt qu’une autre. Enfin, le coup de grâce, 91% des sondés jugent qu’il y a trop de publicité à la télévision.
Voici les ressorts classiques de la pub :
- on s’appuie sur les bas instincts : la luxure, l’envie, la gourmandise… Prenez les 7 péchés capitaux, en fait, et vous les avez. C’est le premier ingrédient. on ne nous dit pas ce que ça fait.
- On nous montre des acteurs, des mannequins ou des sportifs de haut niveau, bref des figures d’autorité qui crédibilisent le produit.
- la promesse est énorme. Une crème de jour nous offre la jeunesse éternelle, une voiture nous confère un sex appeal imbattable, un parfum nous donne confiance en nous. Le salut est dans la consommation.
Un monde en papier glacé où tous nos problèmes sont résolus. Ce sont les Mad men, les grandes agences publicitaires de Madison Avenue, qui ont évangélisé cette forme de marketing. Mais avant eux, il y avait Edward. C’est vraiment lui qui a transformé la réclame en boniment.
Portrait de celui qui a tout inventé
Parlons donc d’Edward Bernays, publicitaire américain, né le 22 novembre 1891. Bien que inconnu du grand public, c’est pourtant lui qui a posé les bases de la communication pour les masses. Il est le neveu de Sigmund Freud en personne ! Véridique ! Et alors que son oncle développe la psychanalyse à des fins thérapeutiques, Edward va l’utiliser à des fins politiques et commerciales. Il écrit un livre, dont le titre, poétique, nous révèle tout un programme : Propaganda, comment manipuler l’opinion publique en démocratie.
Son premier coup de maître, c’est d’utiliser...des figures d’autorité. A l’époque, il s’agit des médecins, qui recommandent des produits et persuadent les bonnes gens de se les procurer. C’est encore Edward qui, à la fin de la première guerre mondiale, invente le terme “relations publiques” pour remplacer le mot négativement connoté : “propagande”. Trafiquer le langage est le b.a.-ba de toute bonne manipulation. On lui doit beaucoup d’autres belles arnaques mais ce qui nous intéresse, c’est ce moment charnière, le 31 mars 1929.
Anatomie de la manipulation de masse
Bernays se voit confier une mission par le géant du tabac Lucky Strike : amener les femmes à fumer. La télévision n’existe pas encore. Alors Edward a une idée. Pendant la parade de Pâques à New York, il fait défiler sur la 5ème Avenue un groupe de jeunes mannequins. Il leur demande d’allumer des “flambeaux de la liberté”, les fameuses cigarettes, devant une assemblée de journalistes et de photographes.
Tout y est ! La procession, la très populaire Easter Parade, est particulièrement renommée à New York. Elle donne une visibilité optimale. La présence des médias offre une gigantesque caisse de résonnance. Les mannequins, incarnation du désir masculin et féminin, véhiculent de nombreux fantasmes. C’est à nouveau un coup de génie de faire appels à elles pour de la pub.
Mais surtout, ce qui est brillant, c’est que le père de la propagande en démocratie, utilise le symbole de la statue de la liberté...pour vendre des cigarettes. Des femmes qui fument, cela reste dans l’inconscient collectif, même aujourd’hui, un symbole de leur émancipation. Si vous en doutez, allez voir dans les livres d’Histoire. Oui, même les historiens ont gobé ça. Bernays a vraiment réussi à convaincre le monde que des cigarettes pouvaient être des flambeaux de la liberté. Quand on parle de tordre le sens des mots ! L’évènement aura un succès mondial. Et c’est cette démarche qui va conditionner le monde de la pub pour près d’un siècle...
La fin du mensonge en publicité ?
En même temps que la révolution du web a transformé le consommateur en consom’acteur, un nouveau paradigme a vu le jour. Il s’agit du marketing par permission. Le concept repose sur le fait que le consommateur accepte de recevoir des communications utiles de la part de la marque plutôt que des pubs qui tentent d’associer le produit avec des choses désirables. Seth Godin fut l’un de ses précurseurs. Il a commencé la mise à mort du marketing propagande. Cependant, on voit encore parfois (souvent) de la publicité ou des relations publiques à la sauce bernayse. Soyons vigilants et rappelons-nous qu’avec ça, on nous a déjà fait avaler n’importe quoi.