Les investissements chinois en France et en Europe s’additionnent depuis le début d’année
Après l’entrée du chinois Dongfeng dans le capital de Peugeot en 2014, les prises de contrôle de Club Med par le conglomérat Fosun en 2015 et de l’aéroport de Toulouse Blagnac par le consortium Casil Europe la même année, la tendance s’amplifie en 2016.
Dernières opérations en date à faire parler d’elles, la montée au capital d’Accor du groupe Jin Jiang (détenu par la municipalité de Shangai et déjà détenteur de Louvre Hotels) ou celle de HNA, maison mère de Hainan Airlines, au capital de Pierre & Vacances.
Citons également le rachat du groupe de mode parisien SMCP (marques Sandro, Maje et Claudie Pierlot) par Shandong Ruyi, l’un des principaux groupes de textile chinois ou celui de l’OGC Nice par des investisseurs chinois du Groupe Plateno associés à des américains.
Certaines de ces prises de participation inquiètent les autorités françaises partagées entre leur volonté d’attirer les investisseurs étrangers et la protection de nos secteurs stratégiques. Pour l’instant, nos dirigeants veillent à ne pas froisser les susceptibilités chinoises car tout est bon pour sauver des emplois en France et rien ne doit entraver le développement des entreprises françaises en Chine.
Toutefois, le fait que la Chine grignote petit à petit le capital de nombreux fleurons de notre économie, soulève de nombreuses questions.
Pourquoi les Chinois s’intéressent-ils autant à la France ?
Tout d’abord, le phénomène ne se limite pas à l’hexagone, il concerne l’Europe dans son ensemble.
En Suisse, c’est le géant de l’agrochimie Syngenta qui est dans le viseur du groupe chinois ChemChina. L’Allemagne n’est pas en reste depuis que le fabricant chinois d'appareils électroménagers Midea group lorgne sur le champion germanique des robots industriels Kuka.
De manière plus générale, d’après des chiffres fournis par Thomson Reuters, les entreprises chinoises ont dépensé depuis début 2016, 62,4 milliards de dollars en acquisitions européennes contre 27,7 milliards de dollars sur l’ensemble de l’année 2015.
En 2015, c’est l’Italie qui a attiré le plus les investisseurs chinois avec 7,8 milliards de dollars investis, suivie par la France avec 3,6 milliards. Viennent ensuite le Royaume-Uni 3,3 milliards, les Pays-Bas 2,5, l’Allemagne 1,3 et la Suisse 1,27 milliards.
L’Europe concentre ainsi aujourd’hui 60 % des investissements chinois hors de leurs frontières, contre 25 % aux États-Unis et 15 % pour l’Afrique, l’Asie et l’Amérique du Sud.
Les explications de cet appétit d’investissement sont multiples
La zone euro offre une stabilité politique et économique rare dans le monde. Elle est également plus ouverte que les Etats-Unis aux investisseurs étrangers. Laminée par la crise, elle a aussi besoin de financements.
Par ailleurs, la croissance en Chine ralentit et les investisseurs chinois doivent chercher des relais de croissance ailleurs.
Sur leur marché intérieur, les entreprises chinoises doivent répondre à la demande d’une classe moyenne qui devient plus exigeante. Pékin cherche donc à réorienter la croissance du pays vers la consommation pour satisfaire une classe moyenne qui augmente de 20 millions de personnes par an et qui a envie d’acheter des vêtements de luxe accessibles, mais aussi des produits alimentaires de qualité.
Les entreprises chinoises veulent ainsi développer une offre de produits plus sophistiqués et ne plus se cantonner au bas de gamme. Le savoir-faire et l’image de marque européens constituent donc un réel attrait.
Enfin, les groupes chinois suivent les orientations stratégiques définies par leur gouvernement. Les autorités chinoises misent avant tout sur l’innovation et les technologies afin de créer des entités capables de peser au niveau global. Rien d’étonnant donc à ce qu’ils s’intéressent à l’agrochimie européenne, à son aéronautique ou à sa robotique.
Lorsqu’ils investissent, les groupes chinois ne laissent rien au hasard
Appuyés par des cabinets d’avocats d’affaires et des consultants en tout genre, les groupes chinois préparent minutieusement leurs opérations. Ils étudient parfaitement leur cible, sa structure capitalistique, sa situation concurrentielle, son potentiel mais également le cadre réglementaire régissant son activité. Ils sont ainsi capables d’utiliser les points faibles des législations et de saisir les opportunités stratégiques lorsqu’elles se présentent.
Deux exemples récents illustrent parfaitement leur façon de faire.
Le premier concerne l’achat de plusieurs exploitations agricoles dans le Centre de la France cette année. Cinq exploitations équivalentes à 1700 hectares de terres agricoles dans l’Indre ont été acquises par le fond chinois Hongyang sans que les SAFER, ces sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural censées protéger les terres agricoles françaises, aient leur mot à dire. Tout cela grâce à une faille juridique qui autorise les sociétés agricoles à ne pas déclarer les cessions de part tant qu’elles n’atteignent pas 100% du capital. Cette faille a permis au fond chinois de n’avoir aucun compte à rendre aux autorités françaises qui ont été mises devant le fait accompli.
Autre exemple à Toulouse l’année dernière. Profitant de la volonté de l’Etat français de vendre ses parts dans la société ATB (Aéroport Toulouse Blagnac) et des tensions entre les collectivités locales incapables de peser de tout leur poids, le groupe chinois Casil Europe a pris le contrôle de l’un des principaux aéroports de province. Outre son potentiel commercial, cet aéroport est stratégique en raison de sa proximité avec le siège social du géant aéronautique Airbus. N’oublions pas également que la région toulousaine est l’une des zones économiques européennes les plus confrontées au risque d’espionnage industriel.
Se réjouir de l’arrivée des capitaux chinois mais ne pas être naïfs
Ces investissements contribuent au développement économique français mais sont avant tout guidés par les intérêts chinois et peuvent disparaître aussi vite qu’ils sont arrivés si Pékin décide de nouvelles orientations ou si la propriété des fonds changent de main.
Se pose aussi la question de savoir à qui l’on a à faire. Qui sont les vrais propriétaires de ces groupes ? Les connaît-on vraiment ? Quelle est l’origine des fonds ? L’Etat chinois ? Des fortunes privées aux structures complexes et aux situations financières opaques basées sur des crédits publics ?
Lorsque le PDG du groupe Casil Europe, Mike Poon, disparut des radars sans explication quelques semaines seulement après le rachat d’ATB, toutes ces questions devinrent très concrètes.
L’argent n’a pas d’odeur et certains secteurs sont moins importants que d’autres pour l’économie et la société française. Toutefois, est-il sain de dépendre des investisseurs chinois dans des secteurs stratégiques comme l’énergie, les technologies du futur ou notre industrie agroalimentaire? La réponse est dans la question.
N’est-il pas temps que le gouvernement français, voire la Commission Européenne, légifère afin de protéger les secteurs essentiels pour l’avenir de l’économie européenne en limitant les possibilités de prise de contrôle capitalistique de certaines entreprises ?