Ces mots qui en disent long sur notre façon de regarder les personnes âgées

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Par Thibault de Saint Blancard Modifié le 22 mai 2018 à 11h34

L’actualité de ces dernières semaines nous rappelle, s’il en était besoin, à quel point l’accompagnement des personnes dépendantes est un enjeu majeur des années à venir.

A l’heure actuelle, nul n’a de solution miracle pour résoudre le problème du mal vieillir, fatalement amené à s’aggraver si on ne prend pas le taureau par les cornes. Vaste programme ! Mais si, en réalité, on considérait le prisme sémantique plutôt que l’économique ? Ne faudrait-il pas commencer par questionner notre façon de regarder et de nommer les choses ?

La vieillesse, fléau du siècle ?

Tout se passe comme si le fait même de vieillir était tabou ou, du moins, honteusement anxiogène. Dans l’imaginaire collectif, vieillesse rime avec angoisse et déclin, Alzheimer avec malheur... et c’est la société toute entière qui appréhende cette période de la vie pourtant naturelle ! De fait, la personne âgée, telle qu’on se la représente, n’est pas compatible avec le mot d’ordre contemporain : « soyez heureux, prenez soin de votre corps, gardez une attitude positive et connectez-vous à vos émotions profondes ». L’homme et la femme modernes sont à mille lieues de la personne « maintenue à domicile », quasi obscène et reléguée à l’arrière-plan de l’espace public.

Mais au fait, pourquoi donc parler de « maintien à domicile » ? Si l’on y réfléchit, cette expression ne laisse pas présager le meilleur pour les personnes âgées et sous-entend presque que celles-ci sont retenues contre leur gré. Accompagner les personnes dépendantes à domicile, est-ce uniquement les aider à s’habiller, se laver et se nourrir, bref à survivre ? Si une personne est « maintenue » à son corps défendant, ne nous étonnons pas des éventuels « refus d’aide » ! Là encore, l’expression n’est pas banale. Si une personne âgée n’accepte pas de faire sa toilette, est-ce réellement parce qu’elle refuse d’être propre ? N’y a-t-il pas un problème plus profond ? Dans de nombreux cas, le « refus d’aide » est justement un moyen de signifier à la personne aidante l’absence de lien et de confiance. Or, c’est précisément de lien dont ont besoin les personnes âgées. Malheureusement, cette notion de rapport humain ne transparaît pas dans le vocabulaire du métier d’aidant. Apporter de la confiance, prendre le temps de donner envie : voilà de vraies missions, trop souvent passées sous silence !

Une réponse et un langage à construire collectivement

Ces abus de langage abondamment véhiculés ne sont-ils pas, en fin de compte, une manière de détourner l’attention du sujet de fond : la détresse des personnes aidantes et le manque de moyens (humains, financiers) mis à leur disposition. Force est de constater qu’au niveau institutionnel, le problème n’est pas pris par le bon bout. Soit la personne âgée représente la partie peu attractive de notre contrat social, soit au contraire elle devient le destinataire privilégié d’un marketing pudiquement baptisé « silver economy ». Le terme anglais a la double vertu d’évacuer -faussement- tout caractère discriminatoire, et de pointer de potentiels Eldorados pour les acteurs économiques. Toutefois, il ne masque pas les difficultés des principaux acteurs concernés -aidants professionnels et familiaux- sur le terrain.

Considérons par exemple le tabou de la maltraitance. Celle-ci commence lorsque le libre-choix de la personne n’est pas respecté et peut aller jusqu’à la violence verbale ou physique. Agir sur les symptômes est important : il faut identifier et dénoncer ces cas de figure. Mais l’essentiel est d’agir sur la racine du mal : comment un professionnel passionné en vient à maltraiter une personne âgée ? Plus concrètement, qui se réveille le matin en se disant “Aujourd’hui, je vais maltraiter une personne âgée” ? La question est de savoir comment sont considérés et accompagnés les aidants. Si la vieillesse n’est abordée que sur un angle purement économique -fardeau ou manne financière- alors, logiquement, les professionnels de l’accompagnement ne seront que les exécutants d’un système normé et standardisé.

En bref, il faut d’urgence déconstruire notre vision de l’accompagnement et de la personne âgée elle-même, sans quoi nous risquons d’entrer dans un cercle vicieux. La première étape est de changer de langage. Ce n’est qu’alors que nous serons en mesure de voir la vulnérabilité pour ce qu’elle est réellement : une richesse pour nos proches et pour la société.

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Thibault de Saint Blancard est co-fondateur d’Alenvi.